Nathalie Kuperman à propos d'Et qu'on m'emporte

Cette histoire absolument terrible m’a fait frissonner du début à la fin, peut-être parce qu’elle touche en nous des points si cruciaux, la peur, toujours, de ne pas assez aimer, la peur de perdre l’autre avant d’avoir dit ce qu’on avait à dire, car les mots d’amour mille fois répétés soulignent leur propre insuffisance. Bref, j’ai été très sensible à ce texte, et traiter du mal d’amour avec cette force relève de la virtuosité.
Finalement, dans ton roman, c’est la pierre qui est le coeur qui bat, ce caillou rose, tendre comme le souvenir, et dur comme l’amour incommunicable.
Bravo, et maintenant, j’attends d’avoir la version de Fleur, celle qui, sans doute, me touchera le plus.

Nathalie Kuperman, dernier ouvrage paru : Petit déjeuner avec Mick Jagger, l’Olivier

Eric Slabiak à propos d'Et qu'on m'emporte

Je termine à l’instant Et qu’on m’emporte.

Je suis chamboulé, c’est un chant bouleversant de douleur et de raison. Je ne sors pas indemne de cette lecture, encore moins qu’avec La  mère horizontale.

J’ai l’impression d’une réhabilitation de l’humanité défectueuse. Une  bienveillance intelligente à l’égard de l’animalité qui est en nous.  Tu dévisses l’appareil à conformités, tu l’envoies en travers de la  gorge et du coeur des bien-pensants, des vertueux que nous tentons  souvent de paraître pour nous contenter ou nous rassurer, pour nous
apaiser peut-être dans les rendez-vous avec nous même. J’ai beaucoup d’admiration pour ta grande sagesse et ton courage à  mettre, il me semble, tout ce qui est humain dans une même ronde  fatale, souvent insensée.
Un des préceptes du judaïsme est d’entretenir la mémoire. Si j’étais  religieux, ou philosophe, je serais tenté de dire que tu accomplis à  travers tes livres une grande « Mitzvah » une « Bonne Action » mais j’ai  l’impression que ta quête est plus spirituelle encore que  l’obéissance à des préceptes religieux ou philosophiques.

Eric Slabiak, musicien, fondateur avec son frère Olivier, du groupe Les Yeux Noirs

Amélie Nothomb à propos d'Et qu'on m'emporte

Belle surprise dans mon courrier , cette lettre d’Amélie Nothomb qui était partie en vacances avec les épreuves de mon roman paru le 4 février…


Chère Carole,

J’ai lu ton livre avec une émotion profonde. Ensuite, j’y ai beaucoup pensé.

Hier, dans une illumination, il m’est apparu que tu avais écrit le roman de Clytemnestre. Nul ne s’est jamais intéressé à ce personnage peu aimé, nul ne lui avait consacré de livre : c’est chose faite. Mutatis mutandis : aujourd’hui, une épouse n’a plus besoin de commander à son amant de tuer son mari pour se débarrasser de ce dernier. C’est la Clytemnestre de l’ère du divorce. Les enfants sacrifiés sur l’autel, cette fois, du peu d’intérêt que leur mère éprouve à leur endroit : il ne sera pas nécessaire d’immoler Iphigénie, elle s’en chargera elle-même à l’aide de drogues et d’alcools.

Mon explication a le mérite de rendre compte d’un autre phénomène : ce qui t’attache, après plus d’un livre, à cette singulière lignée, est une obsession tragique. Cette famille, ce sont les Atrides.

Bravo d’avoir montré une Clytemnestre, sinon sympathique, au moins humaine. Il était temps de lui rendre cette justice : cette femme n’est pas une criminelle mais une mère de peu de cœur. Tu lui rends son humanité et pour cette raison tu ne la gracies pas : elle mourra avec le poids de son erreur, symbolisé par la pierre manquante.

L’écriture est très belle et correspond à ce que l’on attend d’un grand personnage de tragédie. Comme dans un cycle tragique, on part du principe que le public sait.

Avis à ceux qui ne connaîtraient pas La Mère horizontale : heureusement cette faute est réparable chers lecteurs.

Merci pour ce livre courageux.

Amélie Nothomb

Ps : mon passage préféré : son enthousiasme des départs au travail. Elle a beau savoir que peu de surprises l’y attendent, elle aime partir le matin pour ce lieu autre, ne pouvant s’empêcher d’espérer quelque chose. C’est le moment où j’ai trouvé ce personnage le plus émouvant.

Anne-Laure Bovéron à propos d'Et qu'on m'emporte

A lire sur l’excellent site www.culturecie.com

L’article d’Anne-Laure Bovéron sur Et qu’on m’emporte :

A la une

Dans cet audacieux deuxième volet de sa trilogie des « Tombeaux » intitulé « Et qu’on m’emporte », Carole Zalberg donne la parole à une mère qui ne l’a jamais vraiment été. Elle explore sous un nouvel angle la maternité, les liens mère – fille, les héritages générationnels. Un roman singulier, emporté et touchant, aux allures de tragédie grecque. Et en lice pour le Prix des Lilas 2009…

L’esquisse…

La crainte de ne pas être une bonne mère est une réelle angoisse pour bien des femmes. Pour Emma, la question ne s’est jamais posée. Elle en a parfaitement conscience : elle est et a été une mauvaise mère. Surtout pour sa première fille, Sabine, l’enfant disparue, échouée. Elle ne le renie pas. Pas plus qu’elle ne demande réellement pardon ou s’en excuse. Au seuil de sa propre mort, elle s’en explique dans un monologue offert à sa défunte fille. Des constats qu’elle dresse, Emma comprend en partie les raisons de son indifférence face à ses enfants, face à son aînée.
Avant d’être mère, elle est femme. Elle a toujours voulu être libre d’abuser de tous les plaisirs que sa condition, son époque et son corps lui offraient, quitte à façonner son avenir sans la contrainte des enfants à veiller, à élever, à aimer. Elle n’a pas eu envie de se sacrifier pour eux. Elle avait une vie à mener.

Si elle assume tous ses choix, son absence de sentiments pour certains de ses enfants (ceux de son premier mariage) et le déséquilibre de l’amour existant pour son cadet, elle imagine malgré tout, par instants, sur son lit de gisante, comment les choses auraient pu se dérouler si tout avait été différent. Quelle aurait été sa vie, si elle s’était soumise aux règles tacites du quotidien rangé d’une femme au foyer, par exemple ?
En de longs monologues, dans lesquels elle ne mâche pas ses mots, ne déguise pas ses sentiments passés et présents, Emma fait revivre sa silencieuse fille. La sauve autant qu’elle la perd. Elle ne pourra jamais la rattraper. Elle aura été cette mauvaise mère là, ainsi soit-il.

La critique [déroutée] d’A-Laure Bovéron…

La force de ce roman, c’est le trouble qu’il jette. Que penser de cette femme ? Est-elle coupable d’avoir délaissé ses enfants, et notamment sa première née qui a sombré dans l’alcool et la drogue ? Ou est-elle simplement humaine, et donc victime – si l’on peut dire – de sa condition ? Est-elle condamnable de n’avoir aimé son enfant ? Blâmable d’avoir voulu vivre pleinement et sans lest ? Peut-on l’excuser au nom de sa détermination à vivre, à se sentir vivante ? Elle fuyait l’amour de peur d’en mourir, puisqu’elle ne voulait qu’une chose : vivre. En est-elle incriminable ? Ou est-elle victime de son désir de liberté, de vie, de plaisirs, d’indépendance ? Pas facile de trancher…
Emma se révèle attendrissante. Cette femme que la morale désigne comme indigne, ne cherche pas l’absolution. Ne la reçoit pas non plus. Et cela contribue à la beauté et à l’intensité du roman. Elle se raccroche à des petits riens, à un caillou rose, pour tenter de rendre justice à qui de droit. Pourtant, il y a quelque chose « du combat perdu d’avance » dans cette histoire. Et ce, dès les premiers mots, puisque la seule personne qui aurait pu absoudre Emma de ses fautes est décédée depuis des années. Sabine n’est plus là pour donner la réplique à sa mère qui dirige l’accusation et la défense, dans un procès dont elle est l’unique instigatrice. Mais cette lutte avec le fantôme de l’enfant sacrifiée était de toute évidence à mener. Emma relève ici une autre facette de son courage. Elle se bat contre des moulins à vent, en sachant qu’elle y laissera des plumes, sans rien récolter. Pas même sa tranquillité d’âme. Plus rien n’est rattrapable.

Autres qualités de ce roman, son humanisme et son courage. Courage de Carole Zalberg, d’avoir créé un tel personnage, allant plus loin encore dans l’exploration du tabou que ne l’avait fait,par exemple, Eliette Abécassis avec « Un Heureux événement ». Courage d’Emma aussi, de vivre envers et contre tout, contre son enfant, sa vie de femme, de l’endosser jusqu’au bout. La protagoniste a du cran et l’audace de ne pas rentrer dans les cases, de rester fidèle à ses envies, d’avoir toujours été sa priorité. C’est contestable. C’est admirable. Emma est un personnage fort, parce qu’à contre-courant de la banale héroïne sans reproches, et parce qu’elle le revendique. Cette mère par défaut reconnaît certes ses erreurs mais a surtout l’honnêteté de ne pas prétendre, au seuil de sa disparition, avoir fait de son mieux. Elle assume, sans tenter de se dédouaner.
Il est évidemment question des liens maternels. Certaines mères, pour parer à la terreur d’être un jour, par malheur, orpheline de leurs enfants, resserrent le joug. Les couvent à outrance. D’autres lâchent les rennes. Se désintéressent d’eux pour n’être affectées de rien. Tout est question de camp à choisir. De sensibilité aussi. Et de choix à soutenir. Emma ne fait pas dans la demi-mesure. Elle incarne l’instinct maternel de son apogée à sa disparition.
Les thèmes des héritages familiaux et plus encore, de la transmission entre femmes, jonchent aussi cet ouvrage, puisque dans « Et qu’on m’emporte », Emma dissèque trois générations : sa mère, elle-même, sa fille Sabine et évoque une quatrième lignée, sa petite fille Fleur (l’héroïne du précédent roman de Carole Zalberg « La mère horizontale »).

Quant à l’écriture, que dire ? Aiguisée, franche, parfois poignante, cruelle, parfois bouleversante, lyrique, exempte de fioritures. En deux mots, belle et efficace.

Bon à savoir…

« Et qu’on m’emporte » est le second volet de la Trilogie des « Tombeaux » débutée avec «  La Mère horizontale » (2007, aux éditions Albin Michel). Mais il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier tome pour aimer et comprendre le dernier paru. Et en même temps pourquoi se priver de «  La Mère horizontale » (l’histoire de Sabine contée par sa fille, Fleur) qui est également un bon roman ?! (lien Amazon)

DOSSIER CAROLE ZALBERG SUR CULTURECIE…

Carole Zalberg, le coup de coeur d’Amélie Nothomb

Le coup de coeur de Carole Zalberg : « Un Dieu un animal » de Jérôme Ferrari [dossier de l’été 2009, « les écrivains livrent CultureCie »]

Léthée Hurtebise à propos d'Et qu'on m'emporte

Confession d’une mère libre dans son siècle

Avant la parution, en mars dans le Magazine des Livres, d’un dossier sur l’ensemble de mon travail, Léthée Hurtebise évoque les deux premiers volets de la Trilogie des Tombeaux sur son blog.

A lire sur le blog paris-ci la culture.

Amélie Rouher à propos d'Et qu'on m'emporte et de La Mère Horizontale

Requiem pour les Reines

Les mères sont des phares. Les mères sont des temples. Les mères sont des idoles de pierre et des marbres en sang. N’est-ce pas la marotte de l’art et de l’imaginaire collectif de stocker ses mères debout ? C’est surtout le chiqué et l’Alpha chrétien que de les aimer dressées dans la douleur : Stabat mater dolorosa disent le Cantique et l’Oraison. Et tout le monde de l’art se sent bien après ça. Et les enfants aussi après le baiser du soir.
Carole Zalberg ne voit pas de cette manière. Elle écrit sur le ravage de ces mères échouées. Celles qui ne sont ni portées par l’instinct, ni cernées par le devoir, ni formées pour la sainteté. Femmes pour le plaisir, pour la  liberté, pour l’oubli et l’idéal d’elles-seules, la romancière ouvre le coeur de ces mères coupables sans culpabilité. Mais qui vous aiment bien sûr !  Que les filles qui ne se sont pas construites sur la dévastation d’un « Je t’aime. Pas maintenant » ne lisent pas La mère horizontale et Et qu’on m’emporte. Je gage qu’il y en aura peu. Carole Zalberg  réussit magistralement ce pari si rarement osé en littérature depuis Electre.

Deux romans d’une trilogie. Trois générations de femmes, toutes les trois mères et filles. Des trois, seule la petite dernière, comme par miracle, tient debout. Dans  La  Mère Horizontale, Fleur, de son prénom vertical, s’adresse à sa mère défunte, Sabine, emportée par la drogue et le cancer. La plus horizontale c’est elle, la camée, qui cherche des extases dans des verticalités de seringue. Comment grandir avec « une mère toujours renversée, une mère que, même petite fille on n’a jamais regardé que de haut » ?
La deuxième horizontale, c’est Emma. C’est elle qui, à son tour gisante, prend la parole dans Et qu’on m’emporte.  Femme légère, aux emportements de lionne, star à demi aux ambitions totales, ce qu’Emma veut  « c’est qu’on (l)’emporte, qu’on (la) fasse décoller .» Pour cette génération d’après-guerre, le plaisir c’est l’affranchissement de tout. Et pour s’élever, il faut niveler, surtout ses enfants. Chaque roman est ainsi le contre-champ de l’autre. Il n’est pas fait de voix, il est en voix.  Polyphonie de voix individuelles ou stances omniscientes, à la manière sublime des tragédies, quand les voix des héroïnes croisent sans se toucher celles du choeur antique.

Toutes ces voix surgissent et se construisent autour d’un silence, celui de Sabine. Pourtant, nul secret à lever, nulle résolution à espérer. Pas de polichinelle, de cadavre, ni de coups de théâtre oedipien.   Qu’on se le dise  : les mères de Carole Zalberg ne sont pas des « Desperate Housewives ».  Si vous l’espériez, « Rien ne peut être réparé. Pas dans cette vie », vous répondra Emma. Nul autre drame que la trame ordinaire de la vie et son dépliage tragique de conséquences. Le récit ne suit pas l’ordre chronologique, il obéit à la nécessité de ces voix qui émergent comme des souffles et livrent une parcelle de l’histoire, une partie du chaînon quand le battement de coeur, celui de l’écriture, coïncident avec l’élan du drame. Les romans reconstruisent le passé, déplient le rouleau de leurs voix, par vagues sensibles, comme un puzzle d’eau.

Oui, les femmes de Carole Zalberg sont raciniennes. Nul autre drame que le silence celé de l’amour, nulle expulsion possible autre que son aveu, nul salut qui ne le jette au tombeau. Elles sont aussi très vieilles, ces enterrées vives, parce que l’aveu d’amour lui-même est un aveu fait aux morts. Aux  mortes.  Et elles sont jeunes, pourtant. Elles sont Nous, parce qu’il faut s’échouer pour que la parole surgisse enfin, pour ne trouver d’écho que dans le silence. A 5 ans ou à deux-mille ans, Elles ne se disent  jamais « je t’aime » que séparées par 6 pieds de terre.
Carole Zalberg, à plusieurs reprises, et pour chacune des mères et des filles que nous sommes trouve la faille. Nulle ici encore qui ne se retrouve : « Je n’ai pas su t’apprendre ça : à rentrer dans le rang, mais dans le rang, régner. » Voilà sur quelle balançoire chaque mère enjoint à sa fille d’être son Dieu. Sois Dieu et une bonne fille, dans le rang. Dépasse et accomplis mes frustrations mais avec un mari lourd et ta marmaille. Sois indomptable mais à moi. Sois insoumise et rangée . Sois Dieu mais moi !

Et qu’on m’emporte, et La mère horizontale peuvent se lire indépendamment et dans n’importe quel ordre, de la même manière qu’on n’a pas besoin de suivre l’ordre généalogique des héros pour lire les grandes tragédies. L’écriture dit l’essentiel, va à l’essentiel. Dans sa proximité distante, elle est nucléaire. Dieu, d’en haut, caresse la peau des mères et ce qui dans chaque mère se transmet uniquement à sa fille. Alors, de bien loin, nous parvient ce souffle horizontal et familier, à peine immiscé entre la peau et la caresse. Indescriptible trajectoire que cette Ecriture-Autel.
Enigmatique et profane. Reine.

©Amélie ROUHER. Professeur de lettres, critique au Magazine des Livres.
Le 19/01/2009.

Première sélection du Prix Lilas

1.Frédérique Clemencon, Traques, L’Olivier

2.Mercedes Deambrosis, Juste pour le plaisir, Buchet-Chastel

3.Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade, Actes Sud

4.Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Seuil

5.Marie Delos, L’immédiat, Seuil

6.Simonetta Greggio, Les mains nues, Stock

7.Sibille Grimbert , Toute une affaire, Léo Scheer

8.Stéphanie Hochet, Combat de l’amour et de la fin, Fayard

9.Juliette Jourdan, Le Choix de Juliette, Le Dilettante.

10.Leslie Kaplan, Mon Amérique commence en Pologne, POL

11.Rouja Lazarova, Mausolée, Flammarion

12.Tania de Montaigne, Les caractères sexuels secondaires, Flammarion

13.Virginie Mouzat, Une femme sans qualités, Albin Michel

14.Cypora Petitjean-Cerf, Le film, Stock

15.Isabelle Sorrente, Transformations d’une femme, Grasset

16.Carole Zalberg, Et qu’on m’emporte, Albin Michel

La deuxième sélection aura lieu le 3 fevrier 2009.
Le Prix Lilas sera remis le Mercredi 25 mars 2009 à la Closerie des Lilas.

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