Anne-Laure Bovéron à propos d'Et qu'on m'emporte

A lire sur l’excellent site www.culturecie.com

L’article d’Anne-Laure Bovéron sur Et qu’on m’emporte :

A la une

Dans cet audacieux deuxième volet de sa trilogie des « Tombeaux » intitulé « Et qu’on m’emporte », Carole Zalberg donne la parole à une mère qui ne l’a jamais vraiment été. Elle explore sous un nouvel angle la maternité, les liens mère – fille, les héritages générationnels. Un roman singulier, emporté et touchant, aux allures de tragédie grecque. Et en lice pour le Prix des Lilas 2009…

L’esquisse…

La crainte de ne pas être une bonne mère est une réelle angoisse pour bien des femmes. Pour Emma, la question ne s’est jamais posée. Elle en a parfaitement conscience : elle est et a été une mauvaise mère. Surtout pour sa première fille, Sabine, l’enfant disparue, échouée. Elle ne le renie pas. Pas plus qu’elle ne demande réellement pardon ou s’en excuse. Au seuil de sa propre mort, elle s’en explique dans un monologue offert à sa défunte fille. Des constats qu’elle dresse, Emma comprend en partie les raisons de son indifférence face à ses enfants, face à son aînée.
Avant d’être mère, elle est femme. Elle a toujours voulu être libre d’abuser de tous les plaisirs que sa condition, son époque et son corps lui offraient, quitte à façonner son avenir sans la contrainte des enfants à veiller, à élever, à aimer. Elle n’a pas eu envie de se sacrifier pour eux. Elle avait une vie à mener.

Si elle assume tous ses choix, son absence de sentiments pour certains de ses enfants (ceux de son premier mariage) et le déséquilibre de l’amour existant pour son cadet, elle imagine malgré tout, par instants, sur son lit de gisante, comment les choses auraient pu se dérouler si tout avait été différent. Quelle aurait été sa vie, si elle s’était soumise aux règles tacites du quotidien rangé d’une femme au foyer, par exemple ?
En de longs monologues, dans lesquels elle ne mâche pas ses mots, ne déguise pas ses sentiments passés et présents, Emma fait revivre sa silencieuse fille. La sauve autant qu’elle la perd. Elle ne pourra jamais la rattraper. Elle aura été cette mauvaise mère là, ainsi soit-il.

La critique [déroutée] d’A-Laure Bovéron…

La force de ce roman, c’est le trouble qu’il jette. Que penser de cette femme ? Est-elle coupable d’avoir délaissé ses enfants, et notamment sa première née qui a sombré dans l’alcool et la drogue ? Ou est-elle simplement humaine, et donc victime – si l’on peut dire – de sa condition ? Est-elle condamnable de n’avoir aimé son enfant ? Blâmable d’avoir voulu vivre pleinement et sans lest ? Peut-on l’excuser au nom de sa détermination à vivre, à se sentir vivante ? Elle fuyait l’amour de peur d’en mourir, puisqu’elle ne voulait qu’une chose : vivre. En est-elle incriminable ? Ou est-elle victime de son désir de liberté, de vie, de plaisirs, d’indépendance ? Pas facile de trancher…
Emma se révèle attendrissante. Cette femme que la morale désigne comme indigne, ne cherche pas l’absolution. Ne la reçoit pas non plus. Et cela contribue à la beauté et à l’intensité du roman. Elle se raccroche à des petits riens, à un caillou rose, pour tenter de rendre justice à qui de droit. Pourtant, il y a quelque chose « du combat perdu d’avance » dans cette histoire. Et ce, dès les premiers mots, puisque la seule personne qui aurait pu absoudre Emma de ses fautes est décédée depuis des années. Sabine n’est plus là pour donner la réplique à sa mère qui dirige l’accusation et la défense, dans un procès dont elle est l’unique instigatrice. Mais cette lutte avec le fantôme de l’enfant sacrifiée était de toute évidence à mener. Emma relève ici une autre facette de son courage. Elle se bat contre des moulins à vent, en sachant qu’elle y laissera des plumes, sans rien récolter. Pas même sa tranquillité d’âme. Plus rien n’est rattrapable.

Autres qualités de ce roman, son humanisme et son courage. Courage de Carole Zalberg, d’avoir créé un tel personnage, allant plus loin encore dans l’exploration du tabou que ne l’avait fait,par exemple, Eliette Abécassis avec « Un Heureux événement ». Courage d’Emma aussi, de vivre envers et contre tout, contre son enfant, sa vie de femme, de l’endosser jusqu’au bout. La protagoniste a du cran et l’audace de ne pas rentrer dans les cases, de rester fidèle à ses envies, d’avoir toujours été sa priorité. C’est contestable. C’est admirable. Emma est un personnage fort, parce qu’à contre-courant de la banale héroïne sans reproches, et parce qu’elle le revendique. Cette mère par défaut reconnaît certes ses erreurs mais a surtout l’honnêteté de ne pas prétendre, au seuil de sa disparition, avoir fait de son mieux. Elle assume, sans tenter de se dédouaner.
Il est évidemment question des liens maternels. Certaines mères, pour parer à la terreur d’être un jour, par malheur, orpheline de leurs enfants, resserrent le joug. Les couvent à outrance. D’autres lâchent les rennes. Se désintéressent d’eux pour n’être affectées de rien. Tout est question de camp à choisir. De sensibilité aussi. Et de choix à soutenir. Emma ne fait pas dans la demi-mesure. Elle incarne l’instinct maternel de son apogée à sa disparition.
Les thèmes des héritages familiaux et plus encore, de la transmission entre femmes, jonchent aussi cet ouvrage, puisque dans « Et qu’on m’emporte », Emma dissèque trois générations : sa mère, elle-même, sa fille Sabine et évoque une quatrième lignée, sa petite fille Fleur (l’héroïne du précédent roman de Carole Zalberg « La mère horizontale »).

Quant à l’écriture, que dire ? Aiguisée, franche, parfois poignante, cruelle, parfois bouleversante, lyrique, exempte de fioritures. En deux mots, belle et efficace.

Bon à savoir…

« Et qu’on m’emporte » est le second volet de la Trilogie des « Tombeaux » débutée avec «  La Mère horizontale » (2007, aux éditions Albin Michel). Mais il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier tome pour aimer et comprendre le dernier paru. Et en même temps pourquoi se priver de «  La Mère horizontale » (l’histoire de Sabine contée par sa fille, Fleur) qui est également un bon roman ?! (lien Amazon)

DOSSIER CAROLE ZALBERG SUR CULTURECIE…

Carole Zalberg, le coup de coeur d’Amélie Nothomb

Le coup de coeur de Carole Zalberg : « Un Dieu un animal » de Jérôme Ferrari [dossier de l’été 2009, « les écrivains livrent CultureCie »]

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