Les formes, poèmes

LES FORMES

© Carole Zalberg

L’épreuve

Elle ne se trouvait pas toujours

le matin

dans le miroir éclairé cru

approchait encore

face contre glace

traits fondus au tain

et regardait fort

et voulait alors

que tout s’efface

cette image nue

ce début de jour

qui l’avait perdue

paupières pressées

elle attendait

puis s’ouvrait

reprenait son bain de lumière

tout y était

compte à rebours

corps gourd

rêvant du lit

et juste ici

cette elle inconnue

il faudrait aller au monde,

heure par heure

visage en masque

aller en leurre

l’air de celle qui s’est trouvée

Grâce

Elle avance

et voit palpiter l’air autour,

caresse qui la suit à pas de loup

Elle avance, avance

et sent que c’est un de ces jours

où tout l’enlace :

les regards, le vent, l’instant

ce qu’elle désire et ce qui l’attend

elle avance, avance, avance

laisse sa trace

de parfum, de lumière, de silence doux

c’est un frisson, une joie dense

et la voilà qui court.

Défaite

Je cherche mon reflet

dans les morceaux de verre

sur mon chemin

Le sol s’ouvre quand je l’aperçois

Car c’est une autre que je vois

et tout autant ce que je sais de moi :

le visage illisible, trop plein

où je me perds

en l’image filante il y a

ce que j’espère et ce que je crains :

ne pas être,

me reconnaître

au dessin d’une route fausse

Les aspirations

On ne sait jamais

ce qui l’emportera

à l’heure de se prendre entre bras et lèvres

du vertige ou de l’abîme

de la faim, de l’effroi

de l’envol ou du corps las

Au moins

on y sera

chair à chair

vivant, déjà

Délivrance

Après

une chaleur

lourde

sourde à tout

s’étire, lente, sous la peau

L’âme

un instant

est au repos

ne se glisse pas dehors

mais colle aux corps

s’y baigne de toi à moi

bien à l’étroit

Et je m’endors

Les fantômes

Défilent aujourd’hui

des visages bouleversés

supposés beaux

hantés plutôt

par un avant sacrifié

aux dérives

de la réforme

Du fond des yeux mornes

la mémoire des traits

inhumée vive

sous le désastre des outils

exhale un regret

que nul ne lit

Loin des images

Ailleurs

dans les pays étranges,

au lointain de nos rues

là où demeurent

en bord de route

ceux retenus

d’un maigre fil

d’un souffle usé

au monde des repus

rien n’existe

aucun bonheur

que faim et soif résolues

et sur les corps

un temps apaisés

le baume

des mots déposés

ce doux baptême de l’échange

Les batailles

Dans les villes

certaines heures,

les regards tels des armes

se déclenchent

sur une lueur

Leur faisceau monté en épée

donne l’assaut

fouille un peu l’âme

avant de frapper

La cause est une broutille

éclair à peine volontaire

impudeur supposée

air d’arrière-pensée

C’est une lutte insensée

une courte fureur

le temps de croiser

peines et peurs

Une fois déchargé

l’œil retourne

encore fumant

au fourreau des pensées

L’heure creuse

C’est le matin

Café lové

au fond des mains

j’avale le silence,

étreins

le jour délavé

ses danses,

écoute loin

l’éveil des pavés

La maison, un désert

encore dérangé

des rires d’hier,

pleine de nuit

attend que je la prépare

aux heures de lumière

le retour en fanfare

des petites vies

Je goûte

à cette paix

de cristal cher

puis je le vivrai

mon temps sur terre

qui s’ajoute

Naufrages

Dans le noir déchiré

en lambeaux longs

rongé de rêves

de choses sans noms

le cœur crachant

son sommeil de papier

qui froisse et se crève

les yeux, à force,

rendus fous

je cherche au flanc

de la nuit féroce

où j’échoue

le répit

Il faudra bien que le jour se lève ?

Mues

le froid brutal

rude aux restes d’été :

hâle,

mèches de blé,

au palais, du sel

son désir

un souvenir

et celui des soirées belles

Car le doux sans doute doit finir

pour qu’un matin

on s’éveille en se disant

Là !

L’entre-actes

Un rêve

une tentation :

laisser autour le tourbillon

ce vertige

ce déluge

Faire trêve

une virgule

Au refuge

oublier

que le réel roule

s’écoule et gronde

L’inventer

ce lieu sève

où panser

les terres brûlées

Un entre-temps,

couler dans l’infini du monde du dedans.

Cernées

Les femmes fatiguées

s’inventent des beautés

vitales

le temps cavale

il faut parer

Sous l’œil enluminé

bienheureusement

des ombres évasives

ne se laissent pas chasser

c’est la plainte furtive

des belles épuisées.

Qui l’entend ?

Lendemains

Geste atténué

lourd à l’idée

de l’ouate qu’il déchire

Sous les pensées

la faille lancinante

où gémit la nausée

mourante

L’abîmée

Je la tiens par la main

la petite

que je cache

celle empêchée

déchirée le matin

où il est entré

l’autre

et encore

encore

le lendemain

ensuite

et sans fin

des mots et des membres

en elle

à tout prendre

et qu’elle ne soit plus rien

Quand je la lâche

elle remonte

soudain je suis son cadavre

puant de honte

La trahison

D’ici je vois sa vie

à son regard qui se terre

évite les visages

se jette au ciel

s’égare là aussi

cherche le sol

se colle

aux pas divers

aux dos oublieux d’elle

aux masses serrées

qui cachent les vivants

aux arbres en ronde de gris

s’y griffe et se replie

vers ses mains lasses, molles :

la cage

où ses yeux enfin pris

peuvent se taire

m’effacer

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