La Morsure

Roman, inédit. 1996

Ce fut en trichant avec elle-même autant qu’avec Marc que Marie réussit à faire un pas après l’autre vers la liberté. Quand elle en eut vraiment assez de toute cette laideur, quand elle eut la nausée de s’entendre vociférer et supplier ensuite qu’il la pardonne, quand elle sentit qu’il ne subsistait plus rien en elle de suffisamment épargné pour la protéger, quand elle se surprit à penser qu’elle souhaitait la mort de Marc et parfois la sienne, elle sut qu’elle allait trouver la force d’agir.
C’était juste avant l’été. Elle évita de prendre Marc de front. Elle préféra lui dire qu’elle avait besoin qu’ils se séparent un peu, le temps des vacances, pour réfléchir à leur relation qui, il ne pouvait le nier, ne tournait pas rond. C’était, quant à elle, tout ce qu’elle pouvait envisager. Il lui était impossible de s’avouer qu’elle voulait quitter Marc pour toujours. Elle ne savait plus comment penser sa vie sans lui. Il avait tout investi, y compris ses rêves qu’il avait contaminés avec des voeux de pacotille :
« Un jour, tu verras, on partira tous les deux sur une île déserte » lui susurrait-il lorsqu’ils étaient couchés l’un près de l’autre; « à Paris » comme disait Marc, parce qu’ils pouvaient voir les lumières de la ville à travers la baie vitrée contre laquelle était appuyé le lit d’enfant de Marie. Elle, frénétiquement docile, avait accroché dans sa chambre des photos de plages et de cocotiers, et elle prétendait qu’elle avait envie de se trouver là-bas avec lui. Elle n’avait que ce romantisme à deux sous pour s’évader.
Marc accepta la proposition de Marie, persuadé qu’elle ne tiendrait pas deux jours, qu’elle l’implorerait pour qu’il revienne et accepte de la reprendre. Mais ce fut exactement le contraire qui se produisit. Deux mois de soleil et d’insouciance propulsèrent Marie dans un univers qui lui avait été interdit jusqu’alors. On pouvait y tomber amoureux fou et se délecter de cet amour sans rien attendre de plus que quelques baisers tendres et timides. Elle réapprit la vie des gens de son âge, la fête, la joie et les confidences échangées jusqu’à l’aube. Elle fut un peu heureuse, quand elle parvenait à oublier tout ce savoir dont elle ne voulait pas, et l’Autre qui l’attendait à Paris.