Les Mémoires d’un arbre

Les mémoires dun arbre, roman, au Cherche Midi

Finaliste du Prix Murat, un roman français pour l’Italie.

« Au plus profond que me ramènent mes racines emmêlées depuis des siècles à cette terre, au plus loin que m’emportent les retours du vent dans mes feuilles maintes et maintes fois tombées et repoussées, au plus bas de la chute où me précipite le creux qui s’est peu à peu formé en mon centre, n’épargnant que mon écorce grise, au plus haut que me guident celles de mes branches qui sont encore dressées vers les cieux inchangés, je me souviens des hommes et de leurs guerres. »

L’air était une force brutale. L’immobilité n’existait plus. Nulle part. Un mouvement féroce, tourbillonnant dans un désordre de bruit et de terre emportée l’avait remplacée, gagnant jusqu’à nos racines. C’était sans doute le plus effrayant, sentir des tiraillements et des déséquilibres là où d’habitude rien ne bougeait jamais. Que nos cimes oscillent au gré du vent, que nos branches se courbent en grinçant, que nos feuilles se détachent en suivant un courant tout d’un coup plus fort, que nos troncs, même, cèdent un peu sous l’assaut d’une rafale, tout cela était connu et accepté. Inquiétant certes, mais rarement fatal.
Ce qui se déchaînait-là, en revanche, était inacceptable. Comment le vent osait-il être une menace ? Comment ce compagnon de jeu, ce souffle complice et volontiers caressant pouvait-il devenir un tel danger ? Les plus chenus d’entre nous n’étaient pas à l’abri, au contraire. Le vent allait si bien fouiller le sol autour de leurs racines que celles-ci se laissaient emporter, ressortaient à l’air libre avec obscénité. On ne comptait plus les géants à terre, condamnés à exhiber ainsi leurs parties les plus secrètes tandis que la vie finissait de les abandonner. Ce serait d’abord leur feuillage qui se dessècherait, passant d’un vert profond au marron sombre avant de s’effriter tout à fait. Puis leurs branches vireraient au gris, contaminant peu à peu tout l’être de sève qu’une ou deux saisons plus tard on viendrait débiter en tronçons.
Après seulement quelques heures de cette tourmente désertée par toute vie animale, la forêt sembla écrasée sous des pas gigantesques. Au milieu des dépouilles se dressaient si peu de survivants que leur présence verticale choquait. On luttait contre la rancœur de les savoir encore debout. On aurait voulu les convaincre de se coucher à leur tour. Je faisais partie de ce bataillon clairsemé, de ces épargnés offensant la décence.
Au nombre des victimes gisait un étrange couple. Un homme et la représentation d’un autre sculptée dans un arbre. Les deux formes humaines étaient allongées côte à côte, racines et pieds dénudés émergeant de la terre, corps à moitié ensevelis, masque de bois et masque de chair figés dans la même absence d’expression.

 

Quelques critiques de presse