Les yeux noirs

Les musiciens voyageurs

Les Yeux Noirs

Les Yeux Noirs

On commence par être rivé à son siège d’émotion, profondément bouleversé et surpris de l’être autant. A tel point qu’on éprouve quelque peine à applaudir à la fin du premier morceau. Comme si l’on se trouvait en présence d’un phénomène vaguement sacré, projeté au cœur d’un tourbillon magique que l’on craint de dissiper si l’on exprime un contentement trop terrestre.
Et pourtant, n’est-elle pas terrestre cette musique, n’est-elle pas troublante? Elle déborde de chair; elle est tissée d’amour et de rire, ciselée de chagrin et d’errance. Ceux qui l’exécutent semblent à la fois s’abandonner à la plus totale légèreté et transmettre, avec un instinct superbe, la tragédie de l’homme blessé. On les écoute, on les regarde et peu à peu, des images prennent forme, venues d’on ne sait quel recoin de nos mémoires.
C’est un mariage qui illumine le soir blanc de neige d’un village lointain.
C’est un enfant que l’on endort contre son sein en murmurant une berceuse trop triste.
Ce sont des hommes qui se retrouvent et qui jouent comme on échangerait des histoires drôles et tendres.
C’est un peuple qui toujours s’en va, emportant son histoire et ses notes.
C’est un témoignage aussi, qui a traversé le temps… Par quel miracle deux jeunes gens d’aujourd’hui, deux violonistes virtuoses et frères jusqu’au bout de leur archet, ont-ils su redécouvrir, recréer même, l’alchimie d’une musique qui est un récit autant qu’une sonorité? Peut-être grâce à cette belle complicité si évidente qui les unit eux, et chacun de ceux qui sont sur scène.

On les écoute, on les regarde se regarder, et l’on sait qu’ils ont réinventé l’âme de ces chansons, leur essence. On sait qu’ils ont raison lorsqu’ils vagabondent entre une joie explosive et la sobriété la plus pure, la plus douloureuse. On sait que cela devait déjà être ainsi, il y a tant et tant d’années.
Les minutes s’égrènent trop vite en compagnie de ces musiciens voyageurs, de ces chanteurs un peu sorciers. A mesure que les voix et les notes virevoltent ou se lamentent, on est de plus en plus ému, mais on se surprend bientôt à sourire, à battre du pied, à fredonner des airs dont on croyait ignorer l’existence. Bref, on manifeste ouvertement son bonheur d’être là.
Même quand les larmes affluent, même quand on tremble, le sourire demeure une fois pour toutes accroché aux lèvres, de gratitude.

Illustration : Maurice Maréchal pour l’album Balamouk. Le site des Yeux Noirs

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