Dans L'Appel, à propos de La Mère Horizontale

Dans L’Appel (Belgique) le 1er février 2009

Etre Mère

« Elles ne m’ont pas emportée dans leur tombe. Ni ma mère, ni la mère de ma mère. Je suis vivante, je me tiens debout et j’avance droit… Dans mon ventre une vie bat. la naissance de cet enfant, ce sera un pied de nez aux mortes de ma famille. A cette lignée de femmes folles et malheureuses dont je suis issue. »

Celle qui écrit cela aurait eu toutes les raisons d’avoir une vie massacrée, d’avoir de la haine pour celles qui ne l’ont pas aidée à vivre. Mais de ce livre se dégage malgré tout une immense tendresse pour ces femmes qui n’ont pas su être mères. A travers une écriture sobre et expressive, ce roman met en face de l’essentiel et fait découvrir une personne blessée qui parvient à dire maman à une mère pratiquement absente. Un très beau roman. (P. F.)

Amélie Rouher à propos d'Et qu'on m'emporte et de La Mère Horizontale

Requiem pour les Reines

Les mères sont des phares. Les mères sont des temples. Les mères sont des idoles de pierre et des marbres en sang. N’est-ce pas la marotte de l’art et de l’imaginaire collectif de stocker ses mères debout ? C’est surtout le chiqué et l’Alpha chrétien que de les aimer dressées dans la douleur : Stabat mater dolorosa disent le Cantique et l’Oraison. Et tout le monde de l’art se sent bien après ça. Et les enfants aussi après le baiser du soir.
Carole Zalberg ne voit pas de cette manière. Elle écrit sur le ravage de ces mères échouées. Celles qui ne sont ni portées par l’instinct, ni cernées par le devoir, ni formées pour la sainteté. Femmes pour le plaisir, pour la  liberté, pour l’oubli et l’idéal d’elles-seules, la romancière ouvre le coeur de ces mères coupables sans culpabilité. Mais qui vous aiment bien sûr !  Que les filles qui ne se sont pas construites sur la dévastation d’un « Je t’aime. Pas maintenant » ne lisent pas La mère horizontale et Et qu’on m’emporte. Je gage qu’il y en aura peu. Carole Zalberg  réussit magistralement ce pari si rarement osé en littérature depuis Electre.

Deux romans d’une trilogie. Trois générations de femmes, toutes les trois mères et filles. Des trois, seule la petite dernière, comme par miracle, tient debout. Dans  La  Mère Horizontale, Fleur, de son prénom vertical, s’adresse à sa mère défunte, Sabine, emportée par la drogue et le cancer. La plus horizontale c’est elle, la camée, qui cherche des extases dans des verticalités de seringue. Comment grandir avec « une mère toujours renversée, une mère que, même petite fille on n’a jamais regardé que de haut » ?
La deuxième horizontale, c’est Emma. C’est elle qui, à son tour gisante, prend la parole dans Et qu’on m’emporte.  Femme légère, aux emportements de lionne, star à demi aux ambitions totales, ce qu’Emma veut  « c’est qu’on (l)’emporte, qu’on (la) fasse décoller .» Pour cette génération d’après-guerre, le plaisir c’est l’affranchissement de tout. Et pour s’élever, il faut niveler, surtout ses enfants. Chaque roman est ainsi le contre-champ de l’autre. Il n’est pas fait de voix, il est en voix.  Polyphonie de voix individuelles ou stances omniscientes, à la manière sublime des tragédies, quand les voix des héroïnes croisent sans se toucher celles du choeur antique.

Toutes ces voix surgissent et se construisent autour d’un silence, celui de Sabine. Pourtant, nul secret à lever, nulle résolution à espérer. Pas de polichinelle, de cadavre, ni de coups de théâtre oedipien.   Qu’on se le dise  : les mères de Carole Zalberg ne sont pas des « Desperate Housewives ».  Si vous l’espériez, « Rien ne peut être réparé. Pas dans cette vie », vous répondra Emma. Nul autre drame que la trame ordinaire de la vie et son dépliage tragique de conséquences. Le récit ne suit pas l’ordre chronologique, il obéit à la nécessité de ces voix qui émergent comme des souffles et livrent une parcelle de l’histoire, une partie du chaînon quand le battement de coeur, celui de l’écriture, coïncident avec l’élan du drame. Les romans reconstruisent le passé, déplient le rouleau de leurs voix, par vagues sensibles, comme un puzzle d’eau.

Oui, les femmes de Carole Zalberg sont raciniennes. Nul autre drame que le silence celé de l’amour, nulle expulsion possible autre que son aveu, nul salut qui ne le jette au tombeau. Elles sont aussi très vieilles, ces enterrées vives, parce que l’aveu d’amour lui-même est un aveu fait aux morts. Aux  mortes.  Et elles sont jeunes, pourtant. Elles sont Nous, parce qu’il faut s’échouer pour que la parole surgisse enfin, pour ne trouver d’écho que dans le silence. A 5 ans ou à deux-mille ans, Elles ne se disent  jamais « je t’aime » que séparées par 6 pieds de terre.
Carole Zalberg, à plusieurs reprises, et pour chacune des mères et des filles que nous sommes trouve la faille. Nulle ici encore qui ne se retrouve : « Je n’ai pas su t’apprendre ça : à rentrer dans le rang, mais dans le rang, régner. » Voilà sur quelle balançoire chaque mère enjoint à sa fille d’être son Dieu. Sois Dieu et une bonne fille, dans le rang. Dépasse et accomplis mes frustrations mais avec un mari lourd et ta marmaille. Sois indomptable mais à moi. Sois insoumise et rangée . Sois Dieu mais moi !

Et qu’on m’emporte, et La mère horizontale peuvent se lire indépendamment et dans n’importe quel ordre, de la même manière qu’on n’a pas besoin de suivre l’ordre généalogique des héros pour lire les grandes tragédies. L’écriture dit l’essentiel, va à l’essentiel. Dans sa proximité distante, elle est nucléaire. Dieu, d’en haut, caresse la peau des mères et ce qui dans chaque mère se transmet uniquement à sa fille. Alors, de bien loin, nous parvient ce souffle horizontal et familier, à peine immiscé entre la peau et la caresse. Indescriptible trajectoire que cette Ecriture-Autel.
Enigmatique et profane. Reine.

©Amélie ROUHER. Professeur de lettres, critique au Magazine des Livres.
Le 19/01/2009.

Dans Edelweiss (mag suisse) à propos de La Mère horizontale

La Mère horizontale. Par Zohra Karmass.

Edelweiss, mars 2008

Un amour vertical

D’une générosité rare, ce récit incarne l’amour indéfectible d’une fille pour sa mère. A l’endroit où le destin revêt une réalité sombre et douloureuse, Carole Zalberg nous transmet un message lumineux. La sobriété et la pudeur de sa plume n’ont d’égal que la force de son histoire. Trois générations de femmes se juxtaposent, et en filigrane, une vie de rêves déçus. Mais un amour, qui reste lui vertical face aux aléas de l’existence. Cette mère, qui est aussi femme et fille, semble marquée par l’échec d’une vie de dépendance. Elle retrouve sa dignité et toute sa grâce dans le regard de sa fille qui se prépare à son tour à devenir mère.
Bouleversant.

Dans Sud Ouest, à propos de La Mère horizontale

Un livre seul et magnifique. Par Isabelle Bunisset.
paru dans Sud Ouest en mars 2008

Chacune des pages de son roman est une douche écossaise sur l’amour, la vie, la mort, et les relations mères-filles

Songez donc. Quelle surprise ! On commençait à prendre l’habitude; c’était si facile, et si bon. De s’endormir avec les ronrons de romans saupoudrés de poivre juste où il faut, exultant de subtils drames adultères juste où il faut, dans une écriture irrévérencieuse juste où il faut. Celui de Carole Zalberg, au contraire, vous réveille. Chacune de ses pages vous administre une douche écossaise. Un livre seul. Magnifique. Qui vient chercher en vous le manque. De chapitre en chapitre, des fragments de vie s’assemblent en une absurdité triste, cadavéreuse, mais jamais désespérée (« C’est parce que j’ai tellement vu ma mère allongée que je suis fière de tenir debout »). L’histoire de trois générations de femmes « folles et malheureuses », « pauvres rêveuses abîmées », pour qui la maternité est un naufrage programmé. Parce que l’amour reste en dedans. Parce que les baisers et les caresses se font trop longuement attendre, ils ne savent plus réchauffer.

Une victoire. Des destins qui se croisent et s’étranglent dans la voix fluette de Fleur, la narratrice : « Un matin, elle (maman) a été morte. Comme disent les enfants. Je me suis assise contre elle et j’ai volé une étreinte qu’elle ne savait plus donner. » C’est joli, Fleur. La vie, l’est moins. Les suicides sont inélégants mais efficaces. Alcools, dope, boulimie. Il y a ceux qui ne meurent qu’au dernier moment, d’autres qui s’y prennent plus tôt. Qu’est-ce donc le vrai drame de ce livre sinon la victoire de l’existence sur la tragédie ? La vie continue, médiocre et indifférente : « Maman n’en avait pas, de chez elle, nulle part où retourner mourir.»
La lumière n’est que l’accident dans l’univers : elle n’est pas la règle. Qu’importe ? Elle est. Les soleils, çà et là, étincellent mais la nuit les sertit dans son écrin noir. Qu’importe ? Ils étincellent. L’impuissance ensevelit l’amour ? Qu’importe ? Ces femmes aiment. Quitte à « courir après un amour qui jamais ne vient ».

Isabelle Bunisset

Ma mère est une junkie – Critique d'Audrey Diwan

A propos de La Mère Horizontale : Ma mère est une junkie. Par Audrey Diwan
juin 2008

Déjà sa mère l’a appelée Fleur parce qu’elle a été conçue avec un parfait inconnu dans un champ printanier. La pauvre enfant n’a de souvenir de cette femme qu’allongée par terre, ivre ou droguée. Et elle a eu le choix : sombrer ou comprendre. Emma, la grand-mère, était elle-même une fêtarde avant-gardiste qui supportait mal le rôle de desperate housewife que lui imposait l’époque. Résultat : Sabine a toujours senti que sa mère ne l’avait pas désirée. Résultat : Fleur a toujours senti que Sabine galérait dans son rôle de maman. Carole Zalberg signe un roman touchant à pleurer sur la folie qui ronge mathématiquement les femmes d’une génération à l’autre.

© Audrey Diwan, Glamour