Dans Sud Ouest, à propos de La Mère horizontale

Un livre seul et magnifique. Par Isabelle Bunisset.
paru dans Sud Ouest en mars 2008

Chacune des pages de son roman est une douche écossaise sur l’amour, la vie, la mort, et les relations mères-filles

Songez donc. Quelle surprise ! On commençait à prendre l’habitude; c’était si facile, et si bon. De s’endormir avec les ronrons de romans saupoudrés de poivre juste où il faut, exultant de subtils drames adultères juste où il faut, dans une écriture irrévérencieuse juste où il faut. Celui de Carole Zalberg, au contraire, vous réveille. Chacune de ses pages vous administre une douche écossaise. Un livre seul. Magnifique. Qui vient chercher en vous le manque. De chapitre en chapitre, des fragments de vie s’assemblent en une absurdité triste, cadavéreuse, mais jamais désespérée (« C’est parce que j’ai tellement vu ma mère allongée que je suis fière de tenir debout »). L’histoire de trois générations de femmes « folles et malheureuses », « pauvres rêveuses abîmées », pour qui la maternité est un naufrage programmé. Parce que l’amour reste en dedans. Parce que les baisers et les caresses se font trop longuement attendre, ils ne savent plus réchauffer.

Une victoire. Des destins qui se croisent et s’étranglent dans la voix fluette de Fleur, la narratrice : « Un matin, elle (maman) a été morte. Comme disent les enfants. Je me suis assise contre elle et j’ai volé une étreinte qu’elle ne savait plus donner. » C’est joli, Fleur. La vie, l’est moins. Les suicides sont inélégants mais efficaces. Alcools, dope, boulimie. Il y a ceux qui ne meurent qu’au dernier moment, d’autres qui s’y prennent plus tôt. Qu’est-ce donc le vrai drame de ce livre sinon la victoire de l’existence sur la tragédie ? La vie continue, médiocre et indifférente : « Maman n’en avait pas, de chez elle, nulle part où retourner mourir.»
La lumière n’est que l’accident dans l’univers : elle n’est pas la règle. Qu’importe ? Elle est. Les soleils, çà et là, étincellent mais la nuit les sertit dans son écrin noir. Qu’importe ? Ils étincellent. L’impuissance ensevelit l’amour ? Qu’importe ? Ces femmes aiment. Quitte à « courir après un amour qui jamais ne vient ».

Isabelle Bunisset