La conférence d’Antony Soron sur « Chez eux »

Dans le cadre d’un cycle sur le roman court à l’université inter-âges de la Sorbonne, la conférence d’Antony Soron du 25 mars 2016 :

Chez eux

Carole Zalberg

Actes Sud 2015 (2004)

Vous connaissez tous le vers de la chanson de Jean Ferrat, « le poète a toujours raison ». Si tel est le cas, sans doute est-il primordial pour celui qui s’intéresse aux livres, comme nous tous ici, lecteurs fondus enchaînés, écrivants de passage ou de durée, de tendre l’oreille vers ce que les poètes nous disent des enjeux de l’écriture littéraire.

Aussi, souvenons-nous un instant de l’injonction de Verlaine à l’intention de ses pairs, ceux qui s’engagent à défendre « la poésie avant toute chose ».

Souvenons-nous du slogan de son art poétique tant et tant étudié au collège et au lycée : (je vous écoute…)

« Prends l’éloquence et tords lui son cou »*.

De la poésie à l’écriture narrative, le credo ne conserve-t-il pas toute sa pertinence ?

Relisons ainsi un extrait de Feu pour feu*, par parenthèse, prix Littérature-monde en 2014 ; extrait judicieusement placé en quatrième de couverture de ce roman – très court – de 72 pages à peine

(que je mettrai au programme lors de mon prochain cycle de conférences),

où non seulement chaque mot compte mais aussi chaque silence aussi important au fond que le souffle de vie qui inspire la parole du locuteur en attestant de sa présence réelle au monde:

Je couvre, en te parlant, l’entre deux – mort/vie, lieu noir/lieu blanc, hier/demain – où nous allons des jours durant, suspendus comme viande dans un temps qui n’est pas fait pour être vécu mais franchi, respiration réduite au plus mince filet, rêves bridés, métabolisme à l’économie, et je t’emporte, ma valeureuse, emmaillotée dans les mots du pays que nous tentons de fuir.

Après avoir ajouté en affichant le texte * tout juste lu prosaïquement de ma lourde voix gasconne que le souffle de la texture littéraire commence à la virgule, je vous présente enfin Carole Zalberg qui nous fait l’honneur de nous accompagner tout au long de la conférence et des échanges à suivre…

***

Présentation

Aujourd’hui, je limiterai la conférence à seulement 45 mn pour nous permettre des entretiens plus approfondis dans la continuité du propos.

***

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet – soit le récit au programme, « Chez eux »*, quelques mots sur celle qui nous fait donc l’honneur d’être présente avec nous aujourd’hui.

Comme vous l’indique la quatrième de couverture de l’édition de poche, Carole Zalberg n’est pas la moindre des écrivaines dans le paysage littéraire d’expression française. Son roman, A défaut d’Amérique*, actuellement en cours d’adaptation pour le cinéma, si mon information est bonne, a reçu par exemple en 2012 le prix du roman métis des Lycéens. Nous retiendrons, en outre, dans cette brève bio-bibliographie, que notre auteure de référence est aussi animatrice d’ateliers d’écriture en milieu scolaire, ce qui vous l’aurez compris, pour moi, formateur à l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education de Paris, constitue un gage d’authenticité. Il faudrait ajouter évidemment tant et tant de cordes à l’arc de cette auteure polygraphe, adepte d’une écriture dense, intense et tout à la fois juste, précise comme ces mots que l’on entend durant l’enfance et qui restent gravés à jamais dans notre imaginaire et notre mémoire.

Vous l’aurez compris, ce qui m’attire dans cette œuvre d’écrivaine tout le contraire en somme d’un écrit vain*,

Œuvre d’une écrivaine ≠ écrit vain

c’est ce même fil que j’essaie de tirer depuis nos premières séances et qui a présidé à mes choix forcément subjectifs pour constituer le corpus – pensez à Anne Hébert, Ying Chen ou Kim Thuy*

; ce qui m’attire donc c’est l’origine de la textualité zalbergienne, autrement dit sa matrice poétique fondamentale, essentielle, primordiale. Car notre auteure est bel et bien un poète avant toute chose ; une poète qui publie par parenthèse ; un poète donc qui ne peut s’effacer complètement me semble-t-il devant son double romancier…

Je vous conseille d’ailleurs pour rentrer dans son œuvre, le blog de Carole Zalberg où sont consignés entre autres quelques textes poétiques*.

Fidèle à la règle de trois qui régit par tradition les études littéraires et notamment la dissertation, je vous propose maintenant le plan suivant* pour l’étude de Chez eux….

I] La dette de la romancière

II] Eloge de l’institutrice

III] L’adulte qui écrit avec des yeux d’enfants.

Je rappelle quand même avant le développement de mon propos, le Synopsis de ce récit, pour ceux qui ne l’ont pas encore lu :

Chez eux narre avec pudeur près de deux années de la vie d’une petite fille juive venue de Pologne en France avec sa famille et confiée seule à des fermiers de Haute-Loire. Inspiré par l’histoire de la propre mère de l’auteure, le texte entretient subtilement la mémoire des enfants cachés de la Seconde Guerre mondiale et de ceux qui les ont aidés malgré les risques encourus.


 

I] La dette de la romancière

Nous l’avons dit, le sujet de notre récit d’étude n’est pas directement autobiographique. Plus précisément, il implique l’autre, autrui, soit la mère de l’auteure en tant que sujet littéraire et corrélativement en tant que prisme d’une réalité historique. De fait, évoquer l’autre, donner pour ainsi dire une voix à son existence, même s’il s’agit pour le dire en pastichant Baudelaire de sa semblable, sa mère, ne va pas de soi.

En tant qu’écrivain quel est « mon » droit de m’accaparer la vie de l’autre – fût-il ma génitrice ? L’acte de fictionnalisation relève ainsi nécessairement sinon d’une trahison au moins d’une interprétation à visée reconstitutive. D’où, à mon sens tout au moins, le choix d’écriture de Carole Zalberg, choix, nous l’aurons compris, d’une écriture brève, sans fioriture, sans effet trop marqué, sans étalage descriptif :

« Aux beaux jours on trouvait des fruits à chaparder sur l’arbre, on se chauffait les os pour oublier le vide dans le ventre. Mais en hiver, les allers et retours à l’école devenaient une torture » (p.59).

Nous avions déjà désigné Le premier jardin d’Anne Hébert comme une anti-saga romanesque et de Kim Thuy comme l’anti-épopée des boat-people. Or, ce qui relie justement et Chez eux c’est peut-être cela, évoquer une vie pour suggérer implicitement d’autres vies. Ne pas surestimer une vie, aussi aventureuse soit-elle, en ce sens que cette vie est nécessairement duplicable à d’autres vies en l’occurrence ici d’enfants cachés.

Il y a, par là même, une forme de pudeur naturelle de l’expression à adopter. Ne pas trop en dire ou pour le dire familièrement ne pas trop en faire. Chaque anecdote a dans le récit son importance relative. A tel point que justement ce récit pourrait être qualifié d’anecdotique. Evidemment, pas dans une perspective critique péjorative, vous vous en doutez. Non, plutôt dans la perspective d’écriture adoptée : ne pas surjouer les épisodes narrés, ne pas enflammer le récit, et surtout éviter le pathos à outrance : rester finalement à hauteur de petite fille, de jeune femme en devenir, respecter la pudeur de la personnalité originelle, réelle, vecteur de toute cette évocation narrative.

Et puis, sans doute n’est-il pas si facile de rentrer dans les pensées de sa propre mère, soit flirter entre guillemets avec ce qu’elle a su communiquer et bien entendu ce qui est resté incommunicable. L’écriture apparaît ainsi comme une rencontre délicate, subtile, entre une vie vécue et une vie restituée par le récit.

Ecrire le lien, c’est écrire la mémoire. Et la mémoire, principe vital de l’écriture de Carole Zalberg, relisons ses poèmes, relisons aussi A défaut d’Amérique*, cela veut dire comme chez Kim Thuy non pas ouvrir les vannes d’un flux envahissant ou torrentiel mais laisser couler le ruisseau, voire le filet d’eau qui atteste le plus justement d’une présence réelle à ne pas ignorer par les générations à venir. J’ai omis de préciser dans mon introduction bio-bibliographique que notre auteure est mère de trois enfants.

Je crois vous l’avoir déjà exprimé et je sais d’ailleurs que beaucoup parmi vous en sont convaincus pour me l’avoir déjà écrit ou dit : la justesse d’un roman court tient sans doute à sa note de départ, à la capacité pour le dire autrement de sa première page à donner le « la ».

C’est pour cela qu’au moment du choix en librairie de tel roman court ou de tel autre, il ne faudrait sans doute pas se cantonner à lire la quatrième de couverture silencieusement et respectueusement : il faudrait et je vous l’ai déjà dit et répété ouvrir le livre et demander à quelqu’un qu’il vous écoute lire à haute-voix sa première page. D’accord on vous prendra peut-être pour un fol esprit mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle…

Testons l’expérience en votre présence en lisant l’incipit du récit de Carole Zalberg !

Lecture incipit

Vous l’aurez compris, certains écrivent à grands coups de pinceaux, d’autres avec leur poing rageur empoignant la plume… Notre auteur use d’une pointe fine qui touche ici sa cible sans blesser son destinataire.

II] Eloge de l’institutrice

Ceux qui ont participé au cycle de conférences l’année dernière connaissent mon admiration pour Jeanne Benameur et notamment pour son récit, Les Demeurées*, (2002 pour l’édition de poche) focalisé sur la relation entre une institutrice salvatrice et une petite fille que les bonnes âmes du village considèrent tout aussi arriérée que sa mère marginale surnommée « la varienne ». En disant cela, je tisse naturellement un lien avec notre récit d’étude où si j’ose dire des mères de substitution se dessinent en lieu et place de la mère absente par nécessité. Je passerai vite sur le cas le mère Poulou, personnage pourtant beaucoup plus riche que ne pourrait le laisser présager sa massive présence, ses manières frustres et son langage peu châtié. Je m’attarderai davantage sur le personnage de Mademoiselle Tournon, l’institutrice qui va capter l’intelligence singulière de la nouvelle venue dans sa classe et la révéler à elle-même. Personnage sur lequel revient l’épilogue dans deux paragraphes exemplaire de l’écriture de Carole Zalberg en quête du mot le plus juste et chargée d’émotion rentrée.

Lire page 95

Ainsi, il me semble que la grande justesse du récit de Carole Zalberg consiste à éviter la stricte focalisation sur un sujet unique en l’occurrence sa mère. Ce qui est très intéressant, c’est de pouvoir suivre le regard du personnage dirigé vers les autres. Autrement dit, l’hommage de l’écrivaine ne va pas qu’en direction de sa mère, de son courage, de sa détermination ; il se tourne aussi vers ceux et celles, dont au premier chef l’institutrice, qui ont sauvé la petite fille. Narrativement, il est d’ailleurs tout à fait fructueux que la douceur de Melle Tournon s’oppose à la rudesse de la mère Poulou. Sans doute, la survie mentale de la petite fille a-t-elle tenu à cette double relation. Pour ce qui concerne spécifiquement le rôle de l’institutrice, il faut insister sur sa bienveillance, sur sa pénétration de l’intériorité de la petite fille. Il faut insister aussi, comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans la trajectoire existentielle de Kim Thuy rapportée rétrospectivement par l’auteure d’origine vietnamienne, sur la force primordiale de la maîtresse, à savoir rendre possible l’acquisition d’une autre langue que la langue maternelle en même temps que toute la culture qui s’y réfère ou si l’on préfère son aptitude à ouvrir le champ des possibles en un autre lieu que celui d’origine.

En quelque sorte, l’institutrice permet à la fillette d’accéder à des moments de grâce, comme si, cette rencontre providentielle tenait à un épisode de conte et que Mademoiselle Tournon avait quelque chose d’une fée. Je n’abuse pas de citations mais l’observation d’indices textuels permettrait d’attester de cette sublimation de l’institutrice par le regard de la petite fille.

Ce dernier élément m’amène tout naturellement à la troisième partie de mon propos :

II] L’adulte qui écrit avec des yeux d’enfants.

Qui a lu Chez eux ne sera pas surpris que Carole Zalberg ait écrit un roman pour la jeunesse, Le jour où Lania est partie*, par ailleurs primé en 2008. En effet, le défi sinon le pari de l’écriture est ici de retracer un parcours de vie avec des yeux d’enfant. Des yeux d’enfant, oui mais des mots d’adulte. D’où le risque d’une artificialité, d’une distorsion. D’où le risque aussi d’une simplification de la syntaxe, du lexique, comme une régression nécessaire de la palette stylistique pour atteindre une sorte de juste expression de petite fille. Bien entendu, ce qui est en jeu dans l’écriture de Carole Zalberg relève d’une toute autre ambition expressive. D’abord, parce que ce qui est narré s’inscrit sur le linceul de l’histoire contemporaine peu à peu couvert par la noirceur de l’antisémitisme ; ensuite parce que ce dont il est question ici c’est d’un déplacement (ou plus exactement de plusieurs déplacements forcés). Ce dont il est question, enfin, c’est de l’agression contre une identité voire une présence ancestrale. Relisons à ce propos un échange entre cousines qui n’est pas sans faire penser au dialogue surréaliste entre le père et le fils mis en scène par Roberto Begnini, dans La vie est belle*.

Je cite page 19

(la petite fille est encore en Pologne mais vient de changer de logement)

Il y a par conséquent, la terreur de l’emprisonnement, la peur de la solitude, l’arrachement des siens. Il y a par là même l’hyperbole de la grande histoire qu’il aurait été facile d’agiter tant ce monde d’hier pour paraphraser Stephan Zweig était propice en tragédies paroxystiques. Pourtant, quelque chose résiste dans l’écriture de Carole Zalberg à la peinture de ces déflagrations monumentales. Tout simplement, car l’auteure ne cesse d’écrire à hauteur de petite fille, qui entend des choses, qui voit des êtres sombres, qui perçoit les échos des drames, certes mais qui, en dépit des moments cruels qui la mettent à l’épreuve ne cesse de vibrer envers et contre tous à l’unisson d’un imaginaire qui la relie indéfectiblement à sa mère. Il y a par conséquent, la suggestion d’un phénomène de résistance, par le rêve, par le souvenir, oserais-je dire par le beau : le visage du cousin Adriel qui contrebalance celui du monstre moustachu par exemple.

On suit ainsi, le voyage d’Anna comme il s’est probablement déroulé, soit dans tout ce qu’il a de plus éprouvant et de plus magique. A ce titre, je voudrais faire le lien entre ce que je dis et un récit court de Georges Steiner, Le transport de A H*, (poche 1991) qui évoque les sentiments qui animent des Juifs qui après l’avoir traqué retrouve le Führer en Argentine. Et toute la différence entre ces adultes et la petite fille tient aux moyens mis en œuvre pour résister à l’accablement. Les adultes dont parlent Steiner pour se forcer à ne pas renoncer à leur entreprise en milieu hostile se rappellent tous les forfaits du criminel et les saignées familiales dont il s’est rendu coupable. A l’inverse, la petite fille se protège naturellement du désespoir par la voie du souvenir, par une application méthodique à réentendre les voix chères qui se sont tues, à ne pas se résigner à ne plus être une petite fille, à s’agripper à chaque parcelle de vie qu’on lui propose.

Et puis, et je finirai sur ces mots,

il y a quelque chose de fondamental dans le récit que nous propose Carole Zalberg quelque chose qui en dédouble les enjeux. En effet, en écrivant à partir de l’épreuve vécue par sa propre mère, elle tire un autre fil, celui qui lie Anna avec sa propre mère Ethel. La barbarie nazie a brûlé des vies, coupé les ponts entre les mondes, avalisé la détestation du bouc-émissaire mais elle n’a pu abolir ce que la mère d’Anna n’a cessé de promouvoir tout au long du voyage d’exil, la réelle et indéfectible présence du lien :

Lire p.48

 

« Chez eux » reparaît en Babel le 11 mars

les nouveaux habits de "Chez eux"

Babel

Carole Zalberg

Chez eux

Roman

Ce récit sobre et tendre raconte près de deux ans de la vie d’une fillette juive venue de Pologne en France avec sa famille et confiée seule à des fermiers de Haute-Loire. Un monument de pudeur dressé à la mémoire des enfants cachés de la Seconde Guerre mondiale et de ceux qui les ont aidés malgré les risques.

Elle a grandi dans une belle maison, bien au chaud dans la bulle d’amour qu’entretenaient ses parents, sa grande sœur et la famille élargie. Mais en cette année 1938 la vie de la petite Anna Wajimsky, juive polonaise de six ans, bascule irrémédiablement : il faut d’abord quitter la Pologne, partir se réfugier en France. Et comme bientôt cela ne suffit pas, il faut se séparer, s’arracher à la famille. Anna est alors confiée à un couple de fermiers de Haute-Loire. Elle qui a grandi dans la dentelle et l’affection découvre la rudesse de cette vie à la campagne, la présence bourrue des époux Poulange qui lui adressent à peine la parole, la langue française désormais indispensable qui semble lui résister. Dans ce quotidien difficile, un rayon de soleil : l’institutrice du village qui fera tout son possible pour qu’Anna prépare son avenir, quoi qu’il arrive.

De jour en jour, de semaine en semaine, Anna la petite fleur coupée apprend à survivre loin de ses racines, à braver les tempêtes pour tenter de s’épanouir envers et contre tout. En découvrant la solitude elle acquiert l’autonomie, en apprenant la peur elle cultive l’espoir. Elle quitte l’enfance sans s’en apercevoir, sans imaginer que rien ne sera plus jamais comme avant.

Inspiré par l’histoire de la propre mère de Carole Zalberg, ce récit sobre et tendre dresse un monument de pudeur aux enfants cachés de la Seconde Guerre mondiale et à tous ceux qui, en dépit des risques, leur ont porté secours comme ils le pouvaient, au nom de la dignité et de la solidarité humaines.

Extraits de presse

“Carole Zalberg raconte un fragment de la vie d’Anna – figure de sa propre mère – sans pathos ni fioriture, à l’image de la vie de ces milliers d’enfants un jour arrachés à leur famille, à leur pays et finalement à eux-mêmes.” Sophie Dulin (librairie L’Arbre du voyageur, Paris 5e), Page des libraires

“Un roman digne, aux accents réalistes, qui touche par sa justesse et son ton volontairement sobre sur une enfance brisée, anéantie par l’Histoire.” Éliane Girard, Femme actuelle

“Un récit où les mots nous bouleversent. (…) Nécessaire.” David Foenkinos, Muteen

“Sobriété et sensibilité.” Yannick Pelletier, Ouest-France

“Sous cette écriture aux abords non tranchants, qui coule facilement d’une ligne à l’autre sans jamais changer de mine ni casser son souffle, les passionnés d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale comme ceux qui n’ont fait que la frôler trouveront là, étroitement mêlée à l’intime d’un superbe et juste travail de reconstitution, une émotion tout droit sortie du générationnel d’aujourd’hui.” Alexandre Charlyn, Le Mague

“Une écriture sobre et retenue.” Côté femme

“Le style est étonnamment gracile, tout en harmonie et en sensibilité. (…) Un formidable témoignage, empreint de douleur, bardé de pudeur.” Liberté dimanche

“Très beau livre de Carole Zalberg, très émouvant.” Patrick Poivre d’Arvor, Place au livre (lci)

L’auteur

Née en 1965, Carole Zalberg vit à Paris. Romancière et poète, elle a notamment publié L’Invention du désir (Éditions du Chemin de fer, 2010), À défaut d’Amérique (Actes Sud, 2012, prix du Roman métis des lycéens ; Babel n° 1161), Mort et vie de Lili Riviera (Babel n° 1222) et Feu pour feu (Actes Sud, 2014, prix Littérature Monde).

« Chez eux » en Babel en 2015 et collectivement primé

« Chez eux », publié à l’origine par Phébus et épuisé depuis des années, sera repris en Babel par Actes Sud en mars 2015.

article Ouest France

Par ailleurs, le collectif « Qui sont les enfants cachés? Penser avec les grands témoins » dirigé par Nathalie Nathan Zajde et auquel j’ai contribué avec un long extrait de « Chez eux » a reçu le Prix littéraire du Savoir et de la Recherche.

prixdusavoir

 

A propos de « Chez eux » sur le blog « Le monde de Miss G »

(…) C’est un récit que j’ai énormément apprécié, qui se lit d’une seule traite, empli d’émotion et d’Humanité sur fond de Seconde Guerre Mondiale.

Le qualificatif de « terroir » pourrait lui être appliqué, mais c’est celui « d’humain » qu’il faut retenir tant il est question, de façon extrêmement pudique, des relations humaines et de gestes simples qui à cette époque voulaient dire beaucoup et pouvaient sauver des vies.

Peu de paroles sont échangées au cours de ce roman, mais tous les sentiments passent par les actes réalisés, par cette forme de résistance qui a permis à une petite fille de survivre.(…)

Lire la chronique complète là.

Une réaction poético/philosophique de Iannis Pledel

(à propos de Chez Eux)

Dieu est mort,

Ainsi,

Dieu est mort, pourrait être l’épitaphe de cette triste période…historique, aimerait-on rajouter…aimerait-on…n’est-ce pas ?

Mais, aimerait-on ? Oui sans aucun doute, toujours. Ni mort ni abandon ne souffriront le déclin des doux leurres de l’amour. Quand le paradoxe d’une phrase est à double tranchant comme celle-ci.

Le livre de Carole est ainsi…au fil du rasoir…entre joie et peine, entre pleurs et rires…mais léger, véritablement, comme une petite fleur aux pétales de verres qui flotte aux vents mais jamais ne se brise.

Si tu pleures de joie, ne sèche pas tes larmes : tu les voles à la douleur,

Ainsi parlait Toulet.

« Il prit la petite contre lui et la garda serrée jusqu’à ce qu’elle n’eût plus la moindre larme à verser. Alors elle put relever la tête et lui sourire. »

Le Temps est toujours présent…au fil de la plume…

La bêtise est souvent un ornement de la beauté,

Ainsi parlait Baudelaire.

« C’est une honte ce qu’ils vous font, crache-t-elle. Puis l’agitation comme une marée se retire et ne revient plus. Anna comprend qu’elle ne doit rien dire. Juste savourer cette étrange joie qui soudain la submerge. »

L’Ombre omniprésente, le verbe est acéré prêt à tomber sur n’importe quelle phrase…au fil du fleuret…

Je n’admire jamais tant la beauté que lorsqu’elle ne sait plus qu’elle est belle,

Ainsi parlait Gide.

« Si Mamma avait pu la voir, sa princesse, à ce moment-là : maigre, les plis et les creux charbonneux dans une nudité à vif tant s’accumulait les petites plaies jamais soignées et les lésions suintantes d’avoir été grattées »

Et la lumière peu à peu d’éclairer son chez soi…ô toi lecteur.

Les femmes réalisent la beauté sans la comprendre,

Ainsi parlait Proust.

Cette citation pourrait paraître misogyne comme ce roman pourrait paraître historicisant, voire larmoyant, tel n’est pas le cas, tout est affaire d’écriture, d’équilibre, au fil de…nous l’avons dit, nous ne le répèterons pas assez… le texte effleure et pénètre…il chatouille et pique… Potelées d’avant ce long voyage, les petites mains roses serrées l’une contre l’autre de la toute petite Anna s’entrouvrent, elle nous les tend, on y jette un œil, on y aperçoit une feuille d’ortie. Insouciante, elle ne sait pas encore que sur notre sourire il faut y lire la beauté de son geste, si pur, si simple, incarnata. Carole, elle, l’a bien saisi.

Iannis Pledel

Le 18 mars 2004

Une réaction historico/coup de gueule de Frédéric Bourtayre

Il y a quelques mois, Carole m’a fait parvenir le manuscrit de « Chez eux ». Conscient de la valeur salutaire d’une lecture attentive mais néanmoins rapide sur les nerfs d’un auteur (je suis moi-même auteur !) je m’attelai aussitôt à mon devoir de lecteur.

Peu doué, et encore moins qualifié pour la critique littéraire, je pouvais seulement dire si j’aimais ou non. En l’occurrence j’aimais beaucoup. Cependant, historien par nature et par formation, je proposai quelques remarques purement informatives sur une scène ou deux, remarques qui ont je crois été introduites dans le texte. Et quand bien même elles ne l’auraient pas été que cela n’eut rien changé à sa qualité.

Nous avons continué nos échanges par mails et certains ont porté sur ce qui me semblait être l’absence d’un contexte historique, du moins en préface ou en postface. Je lui soumis donc cette idée. Elle refusa. Elle voulait, si j’ai bien compris, garder une certaine intemporalité à cette histoire qui lui était si proche. A bien y réfléchir, je crois qu’elle a eu raison. De tous temps et sous tous les horizons, des histoires comme celle-ci se répéteront à l’infini. Vivre dans la peur.

Mais je suis têtu.

Ainsi l’hiver de notre déplaisir dura quatre ans. On disait « à Berlin ! » On se retrouva à Bordeaux. Là, fébrilement, Marianne attendit Blücher. Ce fut Pétain. L’homme de Verdun faisait don de sa sénilité à un pays qui s’était jeté sur les routes, sonné par une défaite absente des pires cauchemars de nos fiers stratèges empanachés. Chaleur, peur, déroute, mort, 100 000 morts en un mois ! Défaite absolue. La 7ème compagnie n’a jamais existé ! Paris ville ouverte. Le moustachu dans sa benz benz benz qui expédie sa conquête en une matinée : Trocadéro, Tour Eiffel, tombeau de Bonaparte. Mein Fürher, j’abbrends que le Boulin Rouge est vermé ! Hach… Est-ce que tout cela ballait bien la peine. He bien rendrons. Efa doit s’inquiéter. Elle me croit engor à Tanzig !

Dans les rues, la vermine reprend des couleurs. Déjà ! Elle crie Dunkerque. Elle ne va pas tarder à dire Mers el Kebir. Elle suggère francs-Maçons ! Pense communiste. Crache juif !

La république s’est sabordée bien avant la flotte de Toulon en donnant les pleins pouvoirs à l’ancien ambassadeur de France auprès de la toute nouvelle Espagne de Franco. 1856 ! Il est né en 1856 ce Maréchal là. Déjà à la retraite en 1914. Un homme bien d’après ses contemporains. Républicain bien entendu. Et pas trop crotté par l’Affaire. Un soldat qui a rétabli la confiance dans les cagnas de Douaumont, fait tourné le pinard et pensé que le biffin, avant de mourir, l’avait peut-être comme ça un peut envie de vivre encore : double ration de perm. Et doucement sur les exécutions des mutins. Un gars qui comprenait la souffrance du troufion.

Juin 40. 6 millions d’anciens combattants qui voient leur fils se prendre le pied dans le drapeau. Et devant ceux à qui ils avaient botté le cul 20 ans auparavant. Où ça ? A Verdun monsieur ! Tenant pied à pied, lâchant nib du sol natal, crevant plutôt que de laisser le teuton souiller le charnier. Des hommes admirables. Des deux cotés. Courageux ? Très probablement. Ayant envie de vivre ? Définitivement.

Mais se faire botter le cul, ça laisse des traces. Sur l’amour propre bien sur. Aussi et surtout dans la tête de l’ami Fritz qui se dit : finalement, c’te foutue guerre, on l’a perdue en 18, en détalant devant les chars et les ricains. Il y a pt’être quelque chose à changer dans notre façon de conduire nos affaires militaires ! Pas bouger, creuser des trous, attendre que les marmites vous tombent sur la gueule avant de se lancer dans une course de fond d’environs 15 centimètres… Ca marche pas. Alors on va bouger ! Mettre des chenilles aux charrettes et foncer dans le tas. Blitzkrieg qu’on va appeler ça. Guerre de mouvement. Et tandis qu’à Berlin on pensait « on s’est planté en 18 », à Paris, grand-père Maréchal disait « on a gagné en 16, dans les tranchées ». A Hambourg on déclarait : « c’est les chars et les avions qui nous ont foutus dedans. Guerre de mouvement ! » A Paris, après l’armistice de juin 40 on dira, c’est à cause de « quai des brumes » qu’on l’a perdue celle-ci. On a les considérations stratégiques que l’on peut.

Pourquoi je dis ça moi ? Parce que… Parce que c’est le grand manitou des tunique bleues horizon, celui qui tire les ficelles des marionnettes enganachées qui se répandent dans les salons en glapissant « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », le maître à penser de la défensive, le parrain de la ligne Maginot, qui justement fait don de sa personne à ce qui reste de la France en ce 16 juin 40. Philippe Pétain ! Père fouettard sûr de son droit. Va falloir ressaisir c’te caserne, nettoyer les écurie d’Augias. Laisser le Germain s’amuser avec ses pt’its soldats et remettre ce pays dans le bon sillon. C’est pas un caporal autrichien qui va faire la loi chez nous. Il veut des lois, on va lui en donner. Et des bétonnées. Du solide, avec une flopée de signature. Faut dire qu’il est pas tout seul le bougre. Le parlement lui donne blanc seing et va se coucher. Ces députés qui ont bradé la république c’étaient ceux du Front Pop.. Enfin pas tous. 40 ont refusé. 26 ont fui. Des noms qui claquent : Mandel, Mendes-France, d’autres moins reluisants : Daladier. Blum est en taule. Thorez à Moscou depuis 39 et Duclos expédie les affaires courantes, pacte germano-soviétique oblige. Puis il y a tous les autres, ceux qui ne se sentent plus chez eux depuis que la tête du gros Louis est tombé dans le panier, ceux qui pensent que c’était mieux avant, disons avant St Louis, des cagoulards qui mettent bas les masques, des admirateurs d’ordre et de défilés paramilitaires, des rancuniers de la politique aussi, poussés dehors par la vermine rouge, des comités des forges spoliés par le monde de la casquette, ceux qui appellent à régénérer la source d’où la Gaulle tire sa vigueur, des bouffeurs d’angliches. Des bouffeurs de juifs surtout. D’excellents Français comme disait la chanson.

Et tandis qu’à Paris, quelques décérébrés roulent des pelles goulues à Ziegfried tout en se pâmant sur les brumes mystiques de la Forêt Noire, à Vichy on s’organise. On taille dans le gras vite fait bien fait. Pétain pour l’image. Laval pour la mécanique. Et une clique de technocrates pour huiler le tout. Suppression du parlement, des syndicats, abolition de fait de la République remplacée par l’État Français. Un œil sur l’Empire qui s’étend au-delà de la Méditerranée, un autre sous les jupes des comices agricoles, le vieux s’amuse avec ses santons. Fait sauter les enfants sur ses genoux Papy. Et signe dans la foulée les premières lois anti-juives. Dès octobre 1940 ! L’avait encore rien demandé l’Adolf à se sujet. Bon c’est vrai fallait pas lui en promettre. Mais tout de même, pondre en France, dans la langue de Montesquieu, des lois qui en théorie sont encore plus restrictives que celles de Nuremberg, faut vraiment le vouloir. Ils ne l’ont pas seulement voulu. Ils l’ont fait. Et avec bonne conscience en plus. Histoire de devancer le Hun. De lui prouver qu’on n’avait pas besoin de lui pour rédiger des décrets. Et de mettre à l’abri les Français. Parce que ma bonne dame, on a beau dire, ces gens là, sont pas comme nous tout de même. Viennent des steppes ces canailles. Comme les Teutons me direz vous. Oui mais eux au moins ils sont corrects. Et puis avec leurs harengs, leurs papillotes, leurs grosses lèvres tout ça… Vous trouvez qu’ils font Français ? Pas entre octobre 1940 et août 1944 toujours, et selon le Code pénal. C’est comme ça ! Un coup de tampon et vous voilà par ordonnance rayé des cadres de la nation. Bon, un coup de crayon ça va, c’est pas dur à tracer. Mais une fois le carnet bien refermé, et les trois bordereaux expédiés, ben l’est toujours là le gars. L’existe plus. Mais l’existe encore. On lui a déjà tout interdit. On va tout de même pas lui interdire de… Ca faut voir avec les Boches. Seconde vertigineuse ou la civilisation bascule toute entière dans la barbarie.

Donc, pour faire bonne mesure à ces mesures nouvelles, au palais Berlitz on évalue scientifiquement l’influence de la juiverie sur les malheurs de la France, introducing Alphonse de Châteaubriant as the orateur : « amis de la science, regardez cette photo. Le port de cet homme, son profil, l’arête de son nez, sont le pur produit du ghetto.. Ah quoi ! On m’apprend qu’il s’agit là d’un pécheur breton.. Distraction bien excusable chez nous les scientifiques. Cette fois ci c’est la bonne.. » HONTE. Drieux est à la buvette, Brasillach au vestiaire et Céline bat la retape pour attirer le chaland. HONTE. J’ai beau chercher, je vois pas Guitry*.

Mais dans les cabinets du Maréchal, où se jouent les affaires de la France, on se dit tout de même que, même si ces simagrées ne manquent pas d’allure pour conditionner le pékin, il faudrait quand même faire quelque chose. Pourquoi faudrait-il faire quelque chose ? Ben pour ça ! Ça quoi ? Les Israélites voyons ! Bien sûr. Faites mon ami, faites. La loi, et rien que la loi. Mais essayez tout de même de ne pas séparer les familles. La loi dit tu n’existes plus. Ton chien existe. Il peut bouffer dans sa gamelle. Il peut allez chez le véto. Toi tu bouffes dans l’arrière cour de tes anciens appartements. Si t’es malade tu peux allez voir le docteur. Mais comme il y a un grand J sur tes papiers, alors tu peux te brosser, parce que soit le docteur il te dit casse toi, soit c’est son voisin, qui lorgne sa maison, sa femme et ses bijoux qui va aller voir les flics pour rapporter à la connaissance de monsieur le commissaire que le docteur untel, exerçant profession de médecin rue machin, compte parmi ses habitués et patients de nombreux israélites, mot générique qui évite de s’embrouiller dans les méandres d’une réglementation ou sont référencé juifs, demis juifs, quart de juif …. ah la lettre de dénonciation anonyme. Record du monde battu.

Et si tu passes outres la loi, que tu l’oublies l’étoile, alors là tu es hors la loi, hors d’une loi qui justement te dénie tout recours à la loi. Les juristes sont impayables.

Mais pas les marchands de misère. Ou les marchands tout cours. C’est leur métier. Et puis il faut bien manger. Faut dire que tout est hors de prix dans ces années là. Tout sauf la vie. 40 millions de crève la dalle, à compter et recompter leurs tickets de margarine, de pain, de tissu, à payer des fortunes pour un litre de lait. 40 millions de chie la trouille, un œil sur la relève, attendant le retour d’un père, d’un fils, d’un frère, un autre sur le ciel que traversent les Armadas de la liberté. 40 millions à gérer un quotidien encore plus pourri que la veille. Alors les israélites, français ou non…. On veut bien aider mais nous aussi on a nos problèmes. Alors on aidera. Du moins comme on le pourra. La France à un gouvernement de salauds, une avant-garde d’enfoirés prêts à passer tout ce qui ne s’appelle pas Dupont par les armes, une police au ordre et une administration douée d’une réelle efficacité lorsqu’il s’agit d’appliquer le règlement. La France est aussi un pays de Justes anonymes, qui par intérêt parfois, par empathie souvent, l’un allant de temps en temps avec l’autre ont sauvé des gens. Simplement parce que c’était des gens.

Et cela n’était pas acceptable. Il fallait trouver une parade. Rendre plus dur ce qui était déjà presque impossible. Donner preuve à l’occupant. Parce que ça s’organise aussi de l’autre coté de la Manche. Sans parler du front de l’Est. Fait toujours le matamore le Hulan, mais il y a comme un arrière goût « d’j’y crois plus trop » dans la propagande. Et forcément quand ça coince d’un côté, faut bien que ça paie de l’autre.

Wansee ! La question juive est expédiée en 5 heures. Conclusion : traitement spécial pour 11 millions de juifs européens et autres tziganes.

Laval avait été viré. L’était trop allemand comme président du conseil. Fallait faire dans l’odieux, mais dans l’odieux français monsieur. Mais là ça ne rigole plus. On rappelle Laval. Et on rafle. Si on leur donne satisfaction, vont bien nous foutre la paix pour notre Révolution nationale ces vert de gris. Et puis on nous dit que c’est pour les mettre au travail en Pologne. Z’ont jamais rien foutu de leur vie ces canailles. Ça va pas leur faire de mal de bosser un peu. Et puis surtout, ne séparez pas les familles. LES ENFANTS AUSSI. Les enfants aussi….. Pour aider la police, parce que ça doit rester entre les mains des autorités françaises tout de même, on va créer la Milice. C’est ces braves gars qui fusilleront Mandel et puis Marc Bloch. Z’avaient la loi pour eux. On vivait dans un autre monde. Et mon pays était devenu fou.

Jusqu’à la fin les convois partiront. Bourrés jusqu’à la gueule de désespérés de l’humanité, de pauvres ères qui croyaient en la France. Pour où ? Mais on ne savait pas ? On nous avait dit que ! C’est les Allemands qui !!!! Depuis fin 42 Churchill, Roosevelt et Staline savaient ce qui se passait à Treblinka, à Birkenau, et dans les autres camps de la mort. J’ai peine à croire que les autorités françaises aient pu ignorer le massacre.

Mais ce massacre n’était pas un but de guerre. Casser la gueule au Reich, lui briser les reins, l’anéantir, voila quels étaient les buts de guerre. Le crime contre l’humanité ne sera que le cinquième chef d’accusation à Nuremberg. Aujourd’hui on ne se souvient que du cinquième chef d’accusation, mais à l’époque… Tout cela venait après. L’impensable était difficile à digérer. Voir même à imaginer. On ne vivait pas dans le même monde. Une anecdote à ce sujet : Au cours de l’été 1944, les armée franco-américaines remontent le long du Rhône. Le général américain s’inquiète. Pourquoi les français n’avancent pas ? Il envoie sont ordonnance qui trouve l’état major français réuni devant une carte. Pourquoi on n’avance pas ? Hé bien voyez vous John, les Allemands sont là, nous sommes ici, et entre nous se trouvent tout les plus grand crus de Bourgogne. On va quand même pas ravager ces vignobles. Puis une estafette française est arrivée et a lancé, « on a trouvé un passage à travers un cru tout à fait moyen mon général ! » Et les soldats ont planté leurs godillots dans de la vigne à tout venant. A Auschwitz, quelques semaines auparavant, ils dépassaient les 10.000 par jour. La civilisation y avait gardé en bon goût ce qu’elle y avait laissé en honneur. Mais le monde était fou. Et mon pays aussi

Un mot encore. Le révisionnisme gagne chaque jour du terrain. Et il ne faut en aucun cas l’appeler ainsi. Ces gens là ont bien compris que ce terme, révisionnisme, est l’essence de toute science, et notamment la science historique : jusque dans les années 70, l’idée que l’on se faisait de la France de Vichy semblait figée dans le mythe du bouclier Pétain et de l’épée de Gaulle unis sans en avoir l’air en une même cause anti-allemande. Puis est arrivé un historien américain, Robert Paxton qui a révisé cette histoire, l’a étudiée sous un autre angle et qui a mis au jour la saloperie qu’était l’Etat français de 40 à 44. Ceux qui s’intitulent révisionnistes et qui ont même poussé le vice jusqu’à intituler leur revue « anales de l’histoire révisionniste » histoire de se raccrocher à la prestigieuse revue des anales d’histoire économique et sociale fondée par Lucien Fèvre et Marc Bloch (oui celui qui à été fusillé par la milice) ne sont en fait que de vulgaires négationnistes, qui refusent toute existence à une réalité. Ils nient l’histoire par conviction. Ils nient ainsi la mort de plus de 6 millions de nos semblables. Et en niant leur mort, ils essaient de nous faire croire qu’ils n’ont jamais existé. Mais il y a la petite fille en rouge de la Liste de Schindler. Et tous les souvenirs. Et tous les enfants. Et les livres. « Chez eux » en fait partie.

* Bien que sa constitution ne l’ait jamais rendu très résistant, Sacha Guitry n’a jamais rien commis qui puisse attenter à l’honneur d’un homme. D’une femme je dis pas. Mais c’est là une autre histoire.

Frédéric Bourtayre, historien, auteur de Tremblement de terre et autres complications, roman, Nicolas Philippe.
17 mars 2004

Chez eux – Patrick Poivre d'Arvor et autres coups de coeur

  • Présentation de Chez eux par Patrick Poivre d’Arvor dans Place au livre sur LCI, les 19 et 20 juin :

Voici Chez eux, le nouveau et très beau livre de Carole Zalberg qui sort chez Phébus. C’est un livre très émouvant. C’est l’histoire romancée de sa mère qui a été sauvée pendant la guerre au Chambon-sur -Lignon. C’est vraiment très beau.

  • Coup de coeur de juin dans La Tribune de la vente.
  • Chez eux sélectionné par le nouveau magazine Culture Solo