Une analyse-réaction pleine de sensibilité, par Valérie patriarche

A propos de : Les mémoires d’un arbre

Un arbre et un auteur… Lequel des deux nous raconte une histoire ? Est-ce l’histoire d’un arbre racontée par un auteur ou bien l’histoire des hommes racontée par un arbre ? Dans les mémoires d’un arbre de Carole Zalberg, on dirait que l’arbre, être vivant mais végétal, s’est servi de l’auteur comme de l’outil lui permettant de s’exprimer ! L’arbre, dont le bois fait « les pages sur lesquelles les hommes réinventent leur histoire », se donne entièrement dans ce livre dont Carole Zalberg ne serait que l’humble traductrice…Bien sûr, il aura fallu que l’auteur soit extrêmement réceptif pour transmettre au lecteur les pensées et les souvenirs d’un arbre ! Cependant, le récit qui nous est proposé ici semble être celui d’un être de vingt siècles d’existence, et chaque mot a le poids de cette longue existence qui n’est pas à la mesure d’une existence humaine.

Le récit présente à la fois les valeurs d’un conte d’antan et le modernisme d’une écriture nouvelle, il est comme l’œuvre d’un être qui a vu des siècles d’histoire. Ce n’est pas seulement le contenu qui nous fait savoir que le conteur a vingt siècles, mais aussi la manière même dont les choses sont formulées. D’où l’écriture nouvelle ! L’auteur semble aller au-delà de son propre style pour créer (ou comprendre, qui sait ?) celui de l’arbre dont la nature et la temporalité ne sont pas celles de l’homme. Et puis, qui symbolise mieux le conteur qu’un vieil arbre ayant traversé plusieurs siècles d’histoire des hommes ? Rien de tel qu’un bon enracinement et une éternité devant soi pour savoir observer et sentir !

Parce que c’est bien des hommes qu’il s’agit ! Ce sont eux qui se meuvent autour de l’arbre immobile mais pas immuable. Ce sont eux, qui, dans une excitation tout humaine, dansent et souffrent autour de l’arbre aux multiples sensations. Pendant que les hommes « vont debout, et tombent, et se relèvent, et tombent encore », l’arbre reste enraciné et grandit. Ainsi, il acquiert une extraordinaire maturité qui fait de lui un véritable patriarche. Il s’épanouit bien mieux que les hommes qui oublient trop souvent d’arrêter leur course folle, il n’est en rien l’être méprisable auquel on compare l’homme défaillant qui végète. Au contraire, sa nature végétale lui donne la sagesse et la stabilité qui font trop souvent défaut à l’espèce humaine.

Mais l’arbre sait que l’espèce humaine peut être capable du pire comme du meilleur, lui même fait sa propre expérience de leur histoire. Il est bien souvent le lieu de sérénité où viennent se ressourcer ceux qui ont compris qu’il était l’origine des origines, figure de l’énergie terrestre. Ceux-là seuls trouvent au creux de ses racines ou dans les hauteurs de ses branches, le réconfort des bras de leur terre nourricière. Ceux-là seuls savent écouter les arbres.

La prose de Carole Zalberg, écrivain de ce nouveau siècle où les arbres sont si mal entendus, n’est pas celle à laquelle la plupart des femmes écrivains d’aujourd’hui sont en train de nous habituer : il y des moments d’actualité et des moments de toujours, des joies et des peines, des tempêtes et des silences, des tabous qui tombent, des souvenirs envahissants, des mémoires blessées, des espoirs et des peurs, beaucoup d’amour et tant de violence en même temps… Il y a tout ça et plus encore, mais l’écriture n’est jamais crue même quand les sujets le sont, elle est poétique. Peut-être que l’auteur sait vraiment écouter les arbres ?

Valérie PATRIARCHE

Une réaction poético/philosophique de Iannis Pledel

(à propos de Chez Eux)

Dieu est mort,

Ainsi,

Dieu est mort, pourrait être l’épitaphe de cette triste période…historique, aimerait-on rajouter…aimerait-on…n’est-ce pas ?

Mais, aimerait-on ? Oui sans aucun doute, toujours. Ni mort ni abandon ne souffriront le déclin des doux leurres de l’amour. Quand le paradoxe d’une phrase est à double tranchant comme celle-ci.

Le livre de Carole est ainsi…au fil du rasoir…entre joie et peine, entre pleurs et rires…mais léger, véritablement, comme une petite fleur aux pétales de verres qui flotte aux vents mais jamais ne se brise.

Si tu pleures de joie, ne sèche pas tes larmes : tu les voles à la douleur,

Ainsi parlait Toulet.

« Il prit la petite contre lui et la garda serrée jusqu’à ce qu’elle n’eût plus la moindre larme à verser. Alors elle put relever la tête et lui sourire. »

Le Temps est toujours présent…au fil de la plume…

La bêtise est souvent un ornement de la beauté,

Ainsi parlait Baudelaire.

« C’est une honte ce qu’ils vous font, crache-t-elle. Puis l’agitation comme une marée se retire et ne revient plus. Anna comprend qu’elle ne doit rien dire. Juste savourer cette étrange joie qui soudain la submerge. »

L’Ombre omniprésente, le verbe est acéré prêt à tomber sur n’importe quelle phrase…au fil du fleuret…

Je n’admire jamais tant la beauté que lorsqu’elle ne sait plus qu’elle est belle,

Ainsi parlait Gide.

« Si Mamma avait pu la voir, sa princesse, à ce moment-là : maigre, les plis et les creux charbonneux dans une nudité à vif tant s’accumulait les petites plaies jamais soignées et les lésions suintantes d’avoir été grattées »

Et la lumière peu à peu d’éclairer son chez soi…ô toi lecteur.

Les femmes réalisent la beauté sans la comprendre,

Ainsi parlait Proust.

Cette citation pourrait paraître misogyne comme ce roman pourrait paraître historicisant, voire larmoyant, tel n’est pas le cas, tout est affaire d’écriture, d’équilibre, au fil de…nous l’avons dit, nous ne le répèterons pas assez… le texte effleure et pénètre…il chatouille et pique… Potelées d’avant ce long voyage, les petites mains roses serrées l’une contre l’autre de la toute petite Anna s’entrouvrent, elle nous les tend, on y jette un œil, on y aperçoit une feuille d’ortie. Insouciante, elle ne sait pas encore que sur notre sourire il faut y lire la beauté de son geste, si pur, si simple, incarnata. Carole, elle, l’a bien saisi.

Iannis Pledel

Le 18 mars 2004