« Feu pour feu » sur France Musique

Dans l’émission « la petite musique des livres », de Sylvie Tanette, en compagnie de Jean-Noël Pancrazi.

Ecouter l’émission là.

PROGRAMME MUSICAL
Chico Buarque : Jeanne La Française
Jeanne Moreau
Jacques Canetti CANE 122082

Salif Keita/ Steve Hillage : Donsolou, extr de l’Enfant Lion
Salif Keita, Steve Hillage
Mango 518084-2

Piers Faccini, Julien Chirol : A storm is going to come
Piers Faccini
Tôt ou tard 8345 10652 5

Les Yeux noirs : Tchaye
EMI 5232092

Tomas Mendez-Sosa : Cucurrucucu Paloma
Caetano Veloso
Milan 8367

Sibelius : Kuolema op 44, Valse triste
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Lawrence Foster
Erato 88103

Ben Harper, The Innocent criminals : Younger than today
Virgin 509995 05644

Nick Drake, Robert Kirby : Fruit Tree
Nick Drake
Island 00602517457003

« Feu pour feu » dans ActuaLitté

« (…) Un désespoir absolu semé de violence, exprimé sans un mot de trop, à travers une écriture dépouillée qui n’édulcore ni ne masque, condense à l’extrême pour dire au plus juste et laisser le lecteur dans un état de choc, sans distance possible pour échapper, ne serait-ce que le temps d’une phrase, d’un paragraphe, à la brutalité des faits. Non, il est happé par la peine de l’homme, sa résignation, intimement bouleversé, comme anéanti. Affaibli par le désespoir du récit mais fortifié par sa beauté littéraire. »

Lire la chronique complète de Cécile Pellerin là.

« Feu pour feu » par Charlotte Desmousseaux, libraire à Nantes

Feu pour feu, coup pour coup

Ce livre de Carole Zalberg est la révélation d’une écriture, une écriture concise, dense et poétique. Chaque mot de ce livre est l’écho de celui à suivre, chaque mot a sa place, dans cette densité d’agencement, chaque mot trouve sa nécessité, chaque mot rythme, crée, dévoile les chœurs qui se répondent. Chœur du père tentant de survivre, chœur de l’enfant grandissant sauvage, révoltée, perdue. Une langue magnifique, épurée qui enlace les os, les espoirs et les violences d’un continent. La langue ici sert d’enfantement , ce père dans sa fuite du génocide va devoir devenir mère, donner naissance à un corps fragile, les mots sont peaux, souffrance, espérance, la fuite et le refuge, l’idée d’un continent « blanc » où trouver survie.
L’écriture de Carole Zalberg est ici épurée, épurée jusqu’à l’os, l’os des exils et gagne en densité par l’alternance des temps, des lieux, des moments de vies, l’alternance entre les souvenirs du pays ( pays « où l’on ne serait pas resté vivant » ) et du présent , pays d’accueil, banlieues béton, où se développe l’aigreur puisée dans les non-dits.
Ce livre est d’une tendresse immense, homme-père- enfant, un lieu où conforter sa vision du monde. Carole Zalberg réussit ici un livre rare où chaque mot compte, étape d’un puzzle vers le chaos.

© Charlotte Desmousseaux

« Feu pour feu » par Emmanuel Adely

soit, donc, un père qui sauve et amène son enfant ici, ce qu’on appelle, donc, un émigré et sa fille d’émigré qui n’a pas connu, elle, l’ailleurs dont ils viennent, et qui ne connaît que l’ici, donc, et ce qu’offre l’ici, l’accueil d’ici dans des barres de banlieue n’importe où autour des villes
soit, donc, un père, une fois la mauvaise chance advenue, qui raconte son départ, sa fuite, son arrivée, son (maigre) espoir, et, en chiasme, les dialogues de l’enfant et de ses amies jusqu’à la mauvaise chance qui advient.
soit, donc, à partir de ce qu’on appelle un fait divers, à partir de ce fait divers qui se reproduit, un livre, feu pour feu, comme on dirait dent pour dent
un incident qui devient incendie
et qui ravage

parce que
ça ravage parce que
la vie est stupide
c’est vraiment lamentable à quel point elle est stupide la vie et implacable et une fois que les choses sont faites eh bien les choses sont faites et on ne peut pas revenir en arrière et vraiment ça c’est vraiment c’est
d’arriver d’où on arrive pour finir comme on va finir alors qu’on pensait que ça ne pourrait pas être pire et d’ailleurs ça n’est pas pire ça ne peut pas être pire c’est juste différent c’est juste autre chose de
quand on a fui la basique violence quotidienne les massacres d’Afrique ou des Balkans en traversant les flammes et les mers avec son enfant sur le dos son enfant sa fille sur le dos pour lui offrir l’ici la paix d’ici le (maigre) espoir d’ici au moins la paix d’ici
et l’idée d’un avenir
et qu’il suffit d’un briquet d’un briquet jetable made in China au mauvais moment dans l’idée de l’enfant dans la rage de l’enfant pour
foutre le feu
ça rend
ça donne envie de
ça donne envie de se taper la tête contre les murs vraiment se taper le tête contre les murs
et de voir que ça se reproduit que ça continue oui ça continue ça n’arrête pas
la mauvaise chance ça ne s’arrête pas ça recommence

ça prend comme un incendie de forêt à partir d’une allumette ou d’un briquet c’est tout petit et puis ça prend très vite et ça ne s’arrête pas on sait depuis le début que la flamme lancée ne s’arrêtera pas et que ça détruira
tout
ça crépite tout du long après une ouverture magistrale – un souffle d’explosion – qui est naissance et annonce ou présage
de la mauvaise chance
et ils sont, ces feux, après, si sobres, si sobrement entretenus par la langue, qu’il faut les laisser couver en soi pour en sentir la puissance dévastatrice
irradier
par la langue oui, les langues, les deux langues, celle subtilement lyrique de cet homme, poétique, invraisemblablement intelligente (invraisemblablement en ce sens qu’enfin ne pas le faire parler autrement que par le prisme d’une pensée empathique), et celle trivialement sublime de l’enfant perdue, perdue par son père, perdue ici, perdue par l’ici, dans un schisme verbal irréconciliable

être l’autre, sans affect, dire l’autre, sans affect, énoncer sans possibilité de jugement, mettre le feu à la pensée de celui qui lit et la laisser brûler, se consumer, c’est ça, un livre, une littérature de l’ancrage/encrage, à la fois texte, et à la fois zoom sur l’aujourd’hui, qui part de l’incident le plus banal qui soit pour créer l’incendie nécessaire/indispensable de la pensée, alors qu’aujourd’hui, la semaine dernière, le réel c’est-à-dire ce qui arrive ce qui surgit, rejoint ce qu’on appelle la fiction, là à aubervilliers, là un fait divers stupide à aubervilliers, d’un côté, et de l’autre côté ce qu’on appelle la fiction, ici, un feu, un livre, qui dit la violence qu’on reçoit et la renvoie en boomerang, oeil pour œil

© Emmanuel Adely, dernier ouvrage paru La Très Bouleversante Confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté, éditions Inculte, 2014.