Introduction à la soirée premiers romans de la SGDL, le 27/09/12

Introduction à la soirée premiers romans de la SGDL, le 27/09/12

 

Carole Zalberg : Si l’on vous dit « résurrection », vous allez penser bondieuseries, ou surnaturel. Vous n’en trouverez pas trace dans les cinq premiers romans qui ont particulièrement retenu notre attention. Pourtant, il s’agit bien de cinq œuvres de résurrection.

Pierrette Fleutiaux : Résurrection d’une troupe de théâtre et d’un pan d’histoire chez Lucile Bordes,

CZ : résurrection de l’enfant qui, je cite « voulait crever » chez Manuel Candré,

PF : résurrection du père et d’un Iran emporté par la révolution chez Yassaman Montazami,

CZ : résurrection d’une petite pute et des victimes du tremblement de terre en Haïti chez Makenzy Orcel,

PF : résurrection d’un génie et de l’univers de la recherche au XXème siècle avec Yannick Grannec…

CZ : Et tout cela par la grâce de la littérature.

 

PF : Avez-vous parlé avec votre grand-père, parlé vraiment, parce qu’il va mourir ? Peut-être, je l’espère. Mais vous n’avez sans doute pas eu la surprise de votre vie, celle de vous découvrir fille d’une dynastie glorieuse, celle en somme de vous découvrir marquise. Marquise de quoi ?  C’est justement ce que raconte le livre de Lucille Bordes Je suis la marquise de Carabas, chez Liana Lévi. Marquise à la manière du fils du pauvre meunier, que son chat fait marquis de Carabas dans le conte de Perrault. Mais le livre est bien plus qu’un conte, c’est l’histoire d’une célèbre famille de marionnettistes, le grand théâtre Pitou qui commence en 1850, lorsqu’un garçon épicier décide de suivre une troupe de saltimbanques. La troupe avec lui s’étoffe, elle  traverse la guerre de 1870, affronte le rejet à l’égard des itinérants du spectacle, atteint la célébrité, connaît son apogée avant celle de 14-18, puis son déclin avec l’arrivée du cinéma. A travers les aventures parfois rocambolesques de la troupe, se lit une dévotion sans faille à la marionnette à fils, je cite « la plus noble parce qu’elle est plus difficile à manier et qu’elle imite la vie », une dévotion à l’art.

CZ : Avec ce roman qui retrace donc la quasi-épopée d’un théâtre de marionnettes et de la famille de l’auteur – qui l’a autrefois créé, animé, porté de villes en villages avec la nécessaire foi des missionnaires –, on a le sentiment de passer derrière les rideaux d’une scène, de mettre en quelque sorte le nez dans le moteur de ces spectacles ambitieux, minutieux, engagés, littéralement tenus à bout de bras par quelques passionnés qui y laisseront tour à tour leur peau. Dans ce même mouvement, paradoxalement, on va aussi chercher le rêve, cet autre moteur, derrière une réalité un peu terne, celle d’un vieil homme en fin de vie. C’est subtil, bien construit, tissé de silences riches et tout vibrants de cette fascination un peu frustrée que l’on ressent vis-à-vis des histoires originelles et de leur part enfouies, enfuies, à ressusciter, donc, comme le fait Lucile Bordes avec brio.

 

PF : Autour de moi, de Manuel Candré, chez Joëlle Losfeld, c’est-à-dire autour du jeune garçon Manuel ou sans doute de l’auteur, ce n’est que remous et secousses, fragments de souvenirs, trop forts, trop violents, qui culbutent en désordre, de la falaise de temps d’où son enfance s’est écrasée et dont des morceaux ne cessent de dégringoler sur lui. Parfois il les reçoit avec humour, et parfois avec une colère dévorante, de celles qui pourraient pousser au meurtre, à la mort.

CZ : Ce texte a tout du kaléidoscope. Parce qu’il est composé de fragments, bien sûr, et s’offre donc en phrases taillées, en juxtapositions mouvantes de couleurs éclatantes ou moroses, en bribes vivaces libérées par un reste de rancœur, délavées par le temps et sa traîne de chagrin, et réarrangées par l’œil d’aujourd’hui, dans un présent d’où l’auteur peut tout remuer, faire à nouveau lever la rage et les vertiges puisqu’il se sait sauf. Mais c’est aussi un kaléidoscope en tant que vestige, par son contexte, ses décors et ce qu’ils convoquent en nous d’une enfance d’autrefois, avant l’omniprésence des écrans.

 

PF : Le meilleur des jours, c’est ce que signifie le nom persan, Beyrouz, que donna une mère adorante à son fils, miraculé à la naissance. Et c’est le titre que donne à son roman paru chez Sabine Wespieser, la fille de ce dernier, Yassaman Montazami. Je cite « « Karl Marx et mon père avaient un point commun : ils ne travaillèrent jamais pour gagner leur vie. « Les vrais révolutionnaires ne travaillent pas », affirmait mon père. Cet état de fait lui paraissait logique : on ne pouvait œuvrer à l’abolition du salariat et être salarié – c’était incompatible. » A travers ses souvenirs, tragiques ou cocasses, au fil des allers et retours entre Téhéran et Paris, Yassaman fait revivre un père qu’elle adula, un homme délicieux, fantasque, très cultivé, pas toujours bien responsable mais généreux.

CZ : Avec ce roman qui tient autant de la chronique que du tombeau littéraire, l’auteur parvient à saisir la complexité des êtres et des mondes. Et Dieu sait que ces mondes divers et brassés des Iraniens hors d’Iran sont complexes, font voler en éclats les codes, les hiérarchies, les frontières. Yassaman Montazami a le pinceau léger mais ferme, fait apparaître point par point une galerie de portraits inoubliables et surtout son père disparu, sa belle énergie butée. C’est tendre, drôle. Un fragment coloré et vivant dans la mosaïque des livres d’exil, en plus d’être un émouvant geste d’amour.

 

PF : A Port-au-Prince, après le tremblement de terre, dans la grand-rue devenue, je cite, « vallée de béton et de poussière blanche», une prostituée fait un deal avec un client qui lui a dit être écrivain: il ne pourra la sauter que s’il écrit ce qu’elle a à lui raconter. Elle veut un livre pour toutes les putains disparues dans cette chose « pour les rendre vivantes, immortelles » dit-elle.Et c’est le titre du livre de Makenzy Orcel, Les immortelles, chez Zulma A eux deux, chacun à leur façon, ils œuvreront à la résurrection de ces femmes, et surtout de l’une d’entre elles, une toute jeune fille, Shakira, éprise de littérature et du poète Jacques Stephen Alexis. Récit fougueux qui semble courir entre les décombres, tel un fantôme mutilé, comme talonné par les tremblements du sol : il y a urgence à dire les douleurs et les beautés de ces femmes, et surtout de celle qui ne rêvait que poésie…

CZ : Makenzy Orcel donne ainsi la parole aux indignes, se fait scribe et justicier de ces putes de Port-au-Prince braves et usées comme de vieux soldats. Remplaçables mais chacune un petit royaume plus ou moins puissant et convoité, formant, toutes ensemble depuis la nuit des temps, une lignée d’immortelles. Le monde les a mille fois déçues, a trahi tous leurs rêves, a flétri ou flétrira leur chair bien avant l’âge ; on jurerait que rien en elles n’est encore susceptible de s’accrocher à l’existence qui leur offre si peu et si mal. Et pourtant, c’est bien un indécrottable espoir d’aimer et d’être aimé qu’Orcel met au jour en dégageant rageusement les décombres de la ville et des vies.

 

PF : Si je vous dis que le roman, La déesse des petites victoires, de Yannick Grannec, chez Anne Carrière, met en scène une danseuse de cabaret et un étudiant surdoué, qu’ils se marièrent et vécurent ensemble 50 ans, vous allez penser « roman à l’eau de rose ». Vous vous tromperez dans les grandes largeurs. Ils existèrent bel et bien tous les deux et leur vie ne fut pas un chemin de roses. Lui, c’est Kurt Gödel, génie des mathématiques et de la logique. Elle, c’est Adèle, Adèle, c’est tout, mais qui durant 50 ans aida à survivre son grand homme, un éternel malade, hanté de phobies, anorexique et qui malgré ses soins se laissa mourir de faim. « Cet amour peu ordinaire fut mon cheval de Troie », dit Yannick Grannec. Grâce à lui, nous entrons à Vienne avant la seconde guerre mondiale, puis à Princeton, ce refuge de génies immigrés, où nous côtoyons Einstein, un proche de Gödel, et bien d’autres. Seul personnage véritablement de fiction, Anna, documentaliste à Princeton, qui a pour mission d’obtenir que la veuve de Gödel, vieille dame perspicace et peu commode, lègue les papiers de son célèbre mari à l’université. Et c’est ainsi que tout commence…

CZ : Belle idée que ce portrait indirect, cette vision intime, à la fois amoureuse et lucide d’un personnage jusque-là résumé à son génie. Or, du génie à la démence il n’y a qu’un pas. C’est cette valse permanente au bord du gouffre que choisit de raconter Yannick Grannec. Au fil des pages, l’ordinaire Adèle, l’épouse éblouie par son illuminé, la sacrifiée à peu près consentante, la déesse du titre, s’impose en rempart contre la chute autant qu’en indispensable maillon entre la quête obscure et la percée théorique. Car la science est ici un trésor attendant d’être inventé, une vérité révélée aux plus ou moins fous ; qu’on sait gré à l’auteur de nous laisser entrevoir.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *