Mort et vie de Lili Riviera – Alexandre Moix – Le Mague

Mort et vie de Lilie Riviera

Mort et vie de Lilie Riviera

Les lolos de Lili

par Alexandre Moix

La pire des choses qui soient arrivées dans la vie de Lili, ce sont ses seins. Il est difficile de naître avec du 105 D sans se faire remarquer. Dans les cours de récréation, elle ne passe pas inaperçue. Ses loches suscitent convoitise et branlettes. Railleries. Jurons. Les « aplaties » du collège la traite de salope et les puceaux lui en veulent d’être déjà devenue inaccessible. Le plus grand malheur de Lili, c’est son corps de déesse. Elle a du mal à trimbaler tous les matins sa beauté. Son cul. Ses hanches arrondies dans le bus qui la mène à l’école. Lili aimerait devenir une femme comme les autres. Oui, mais voilà, elle ne le peut pas. Ses seins ont pris trop de place dans sa vie. Ils l’empêchent de s’émanciper.

Elle est prisonnière de sa chair. Le monde entier se soulage sur ses seins sans rien dire. Même son père. Lili n’est pas une fille comme les autres. Elle est tour à tour « Vagin », « Clitoris », « Gros Seins », « esclave-à-maquereau », « fantasme-pour-pervers-solitaires ». Au lit, on ne dort pas « avec » elle, mais « sur » elle. Et pour la baiser, ses petits amis ne lui demandent pas son avis. Lili ne connaît pas le plaisir mais celui des autres. Quand elle trouve du boulot, c’est bien souvent au vestiaire d’un club privé où hôtesse d’accueil. Lili a aussi son fan club : sans-abri, vieux beaux, fous furieux qui lui écrivent quinze lettres de cul par jour…

Normal : Lili ressemble à la jaquette d’un film porno. Le tort de Lili, c’est de ne pas être un boudin. Avec toutes ses heures de vols, elle aimerait être libre comme un oiseau : elle n’est qu’une petite grue qu’on traite comme une chienne.

Lili n’a pas su préserver ses formes. Enfouir ses rondeurs généreuses. Dissimuler ses débordements. Elle s’est offerte aux autres. Toute entière. Avec naïveté. Si son nez se voit comme un nez au milieu de son visage, c’est parce que le monde entier lui dit qu’il faut en changer. C’est pour ça qu’un jour, Lili décide de faire peau neuve. De se transformer. Pommettes, nez, menton, fesses, seins, tout y passe. Lili devient ce qu’elle a toujours voulu être : tout sauf elle-même. Une femme selon les autres. Une Frankenstein pour page centrale de revue porno.

L’écriture de Carole Zalberg est brillante.

Son lyrisme parfaitement maîtrisé ne tombe jamais dans le trop plein de phrases ampoulées. Carole écrit à l’oreille. Ça se sent. Sa note est juste et haut perchée, ses accords sont suaves et sa phrase véhicule une mélodie qu’on retient comme une chanson. Ce « boléro » littéraire regorge de phrases à rendre jaloux n’importe quel auteur : « Lili, que Marc pliait, dépliait, ouvrait et couchait dès que l’envie lui en prenait, s’éloignait des rives de l’enfance » ; « Incapable de quitter Marc franchement, Lili commença par lui fermer ses cuisses pour une durée indéterminée »…

Pour son troisième roman, Carole Zalberg a fait fort. Son livre n’est pas seulement un excellent roman. C’est aussi un scénario digne d’un film de Fassbinder.

Mort et Vie de Lili Riviera, Roman, Phebus, Carole Zalberg (2005)

Source : http://www.lemague.net/dyn/article.php3?id_article=1282

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