A propos de Petit déjeuner avec Mick Jagger, de Nathalie Kuperman

A propos de Petit déjeuner avec Mick Jagger, Nathalie Kuperman, L’Olivier, 2008.

La possibilité de Mick

Les romans de Nathalie Kuperman me font penser à ce qui guette de l’autre côté du mur quand on habite en haut d’une tour : la menace du vide. Cette menace est constante mais il faut se pencher par la fenêtre pour en percevoir la réalité. De la même manière,  Petit déjeuner avec Mick Jagger recèle mille dangers,  s’ouvre sur quantité de souffrances et de cris, mais si l’on veut les saisir,  il faudra  en quelque sorte traverser les phrases précises de Kuperman jusqu’à cet espace où plus rien n’est sûr ; il faudra accepter de suivre l’auteur dans un monde  où réel et imaginaire sont les fils tissés très serrés d’une trame unique ; il faudra renoncer à les démêler, ces fils, puisque dans leur enchevêtrement ils sont la matière même du récit et sa beauté ; il faudra accepter le vertige.

C’est alors seulement qu’on se tiendra avec émotion parmi les ombres qui hantent ce court roman aussi faussement léger que les précédents. On sentira l’absence floue d’une mère, sa folie jamais nommée, on assistera, empli d’une inutile rage, au viol subi par la narratrice à  huit ans,  on constatera la fuite du père dont les paroles d’amour ne parviennent pas à remplacer l’amour lui-même, qui serait d’être là pour son enfant. On saura qu’on est remonté à l’origine des maux quand on verra se diffuser le poison de la persécution.  Témoin ou conteuse,  Kuperman  écrit très précisément ces ombres et cela suffit à notre douleur.

Bienheureusement, Mick nous est donné.  Il est notre refuge autant que celui de Nathalie. Ses chansons des repères, une collection commune et vibrante à laquelle puiser pour se divertir et exulter. Aucune autre rock star n’aurait fait l’affaire. Il fallait Jagger et son hypersexualité qui, par un de ces miracles paradoxaux dont l’auteur a le secret, lave des souillures  et rachète tous les hommes ou presque. Il est un ange gardien déglingué qui oublie souvent de veiller. Un héros très imparfait rendant moins criante l’imperfection des êtres chers.  Il est l’expression même de la solitude et son antidote : l’imaginaire, l’invention d’une vie désirable. Il est l’écriture, donc, qui tient en vie tout en nous séparant du monde.

© Carole Zalberg

Je recevrai Nathalie Kuperman le jeudi 7 mai à 19h30 à la libraire La Terrasse de Gutenberg (cf la rubrique Agenda)

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