Baptême de suie
Dans Feu pour feu, Carole Zalberg s’empare d’un fait divers : l’incendie de boîtes aux lettres qui a dévoré plusieurs étages d’un immeuble de cité et causé la mort. Pour raconter ce geste, elle met en scène un père et sa fille et explore les non-dits familiaux. Le père narre à sa fille, absente, sa propre histoire, tandis que sa fille se retrace le parcours du feu. Ce qu’elle ignore c’est que sa propre vie a été marquée par les flammes.
Deux monologues se font écho, deux générations, deux regards sur l’existence, deux chemins de vie aussi. Ils ont traversé les mêmes épreuves, mais lui seul en garde le souvenir vivace et le silence. Il ne lui a jamais raconté le chemin parcouru pour l’extraire de la folie des hommes, pour la préserver de la perte de sa mère et gagner une terre d’asile. Derrière eux l’Afrique, et face à eux, un territoire qu’il rêve plus clément. Mais l’Europe réalise-t-elle toutes les prières ? Adama, sa fille, ignore tout des espoirs de son père. Elle a grandi là, au pied des immeubles, elle ne connaît que les lois de la cité. Elle est à mille lieues de cet héritage et se débat avec d’autres diables, ceux de son quotidien, ceux de ses amitiés fragiles et virulentes. Il porte la mémoire et avec elle la culpabilité, l’incompréhension. Adama porte l’insouciance et bientôt, le violent apprentissage de la responsabilité, de la conséquence de ses actes.
Le monologue fleuve du père et les déclarations ponctuelles de la fille se heurtent, leur vocabulaire, la profondeur des réflexions paternelles et l’urgence rageuse de l’adolescente les détournent l’un de l’autre. Le père s’interroge : se taire était-il un bon choix ? Etait-ce vraiment la garantie de tenir sa fille éloignée de la violence du monde ? Adama, avec ses mots chamarrés et sa vision du monde, elle raconte le départ de l’incendie, ce geste qui devait n’être qu’un désagrément ciblé et qui se transforme en acte criminel.
L’ouvrage est certes court, mais le refermer ne suffit pas à estomper la traînée de suie que le récit et l’écriture ont imprimée dans l’esprit du lecteur au fil des pages.
Anne-Laure Bovéron
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