A propos de Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé

A propos de Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé

L’invention de la vérité

Le titre du dernier roman de Véronique Ovaldé est celui d’une transmission annoncée.  L’auteure va nous confier ce qu’elle sait de Vera Candida. C’est à la fois modeste et péremptoire puisque de ces limites il faudra se contenter. Réserves et injonction  dans un même mouvement gracieux. Quel privilège aussi! On sera changé. On sera dépositaire des vies offertes par Ovaldé ; d’une vérité, donc. Et Dieu sait que c’est précieux, ça, la vérité, surtout lorsqu’il est question d’amour et de fatalité.

On s’en doute, ce n’est pas à force de réalisme qu’Ovaldé l’illusionniste montrera cette vérité même si tout est d’une justesse à rire et à pleurer dans ce roman dont la forme et la saveur évoquent un oignon rose : doux, piquant, composé de registres superposés, des pelures autonomes, mais à travers lesquelles ont peut croquer jusqu’au  goût le plus profond, le plus persistant.

La couche supérieure, immédiate, est la pellicule translucide du conte. L’époque y est à la fois contemporaine et intemporelle, les anachronismes, du coup, n’en étant pas mais des motifs nécessaires au récit ; la géographie  y est aussi précise (odeurs, textures, bruits, animaux et végétaux convoqués en nombre pour la camper) que fantasmée (chacun y retrouvera son village exotique et déserté, son continent sensuel et violent); les personnages des compositions charnelles et volatiles, abruptes et merveilleuses.

A l’abri de cette aile chatoyante – et comme irisée par ses brillances – se déploie la trame elle-même : ce que sait Ovaldé, donc, de Vera Candida, Violette et Rose Bustamente, trois générations de filles-mères tenues par la honte et ses secrets, maudites peut-être mais fières et puissantes au point de faire plier le destin pourtant acharné. Autour de ces trois-là, l’habituelle et poignante constellation des femmes malmenées, étonnamment déterminées à vivre, chair à viols de tous ordres. Les rares hommes à peupler cet univers sont de pauvres bourreaux trompant leur faiblesse dans l’excès, souillant avec frénésie pour crever leurs propre abcès de honte enfouie, pour partager leur inconsolable chagrin d’enfants délaissés. S’il existe un héros, il est forcément abîmé et c’est contre ses failles que la dureté des femmes méfiantes peut lentement s’émousser.

Sous ces deux épaisseurs réussissant ensemble le miracle de la légèreté – phrases qui respirent, palpitent, vivent leur propre vie, rythme si maîtrisé qu’il se confond avec la respiration du lecteur, sourires naissant de la surprise ou d’un heureux attendrissement, portée quasi magique des images – la Grande Histoire peut s’inviter. Percent ainsi quelques figures horrifiques et crédibles du nazisme ainsi que les cris de leurs victimes. En soulevant telles des cloques la peau fine du conte, elles font une brûlure qu’on n’attendait pas. Car Ovaldé, on l’a vu, ne restitue pas la vérité (dans ce cas, on s’en protègerait, on aborderait la lecture toutes défenses dehors). Elle l’invente, la mitonne avec ses mots de fée, sa poésie puisée à la sève des êtres et des choses, son regard tendre et aiguisé. C’est le poison et l’antidote dans une seule potion enivrante, têtue. C’est heureusement un baume, aussi, comme l’est toujours la justesse.

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique Ovaldé, Editions de l’Olivier

Véronique Ovaldé sera mon invitée le 4 février 2010 à la librairie La Terrasse de Gutenberg.

Une version plus courte de cet article est paru dans le Service Littéraire d’octobre sous le titre :  Poison et antidote.

Véronique Ovaldé à propos d'Et qu'on m'emporte

Dans la série des « mails qui font du bien »…

… celui-ci, reçu de Véronique Ovaldé (auteur, entre autres, du formidable Mon cœur transparent), et que je reproduis ici avec son autorisation :

« J’ai lu ton magnifique Et qu’on m’emporte.
Ce livre, comme tu l’auras deviné, m’a énormément plu. Il est puissant, violent, incarné. Le passage de la mort de la fille d’Emma est si fort (la voix « rauque et pulvérisée »). Et ce que dit Emma du secret des femmes « quelque chose de leurs secrets ne cède jamais ». Je trouve ton écriture viscérale et elle m’a vraiment emportée !