A propos de Des corps en silence, de Valentine Goby

Valentine Goby sera mon invitée à la librairie La Terrasse de Gutenberg le 3 juin.

Article paru dans le Magazine des livres de Mars/Avril 2010

Quand le désir se retire

En juxtaposant le cheminement intérieur de deux femmes confrontées à la mort du désir, l’une de nos jours, l’autre au début du XXème siècle, Valentine Goby compose un chant paradoxal et poignant.

Claire est une jeune femme d’aujourd’hui, professionnelle experte et passionnée – elle fabrique des pianos –, mère charnelle, parfois débordée mais jamais vide face à Kay, sa fille. Le vide, c’est entre Claire et son compagnon, Alex, qu’il s’est peu à peu installé. Claire le pressentait sans doute mais elle ne l’admet, brutalement, qu’un matin, alors qu’elle regarde Alex attablé devant son petit-déjeuner. Leur appartement s’est peuplé d’objets, s’est paré de tissus, de teintes affirmant l’harmonie. A l’inverse les corps se sont peu à peu effacés, ont perdu de leur présence et de leur pouvoir, n’émettent plus ces vibrations profondes et irrégulières qui font l’urgence de se prendre. A la place du désir, Claire, quand elle s’interroge avec la lucidité de ceux qui n’ont pas renoncé à ce qu’ils attendaient du monde, ne trouve qu’une affection peinée. Qui lui fait honte. Elle sait dès lors qu’il lui faudra rompre. Des corps en silence accompagne l’errance de Claire et Kay juste avant que la rupture soit consommée. Le cadre démesuré de la Défense, la chaleur de juillet, ajoutent encore à l’oppression de ces heures engluées.
Sur l’autre rive du récit se tient Henriette et sa tragédie empruntée aux faits divers de l’époque. Le corps d’Henriette est né sous les mains de son amant, Joseph Caillaux, qu’elle a ensuite épousé. Mais Joseph n’est pas l’homme d’une seule femme, même si celle-ci, de son propre aveu et parce qu’elle ne saura plus se passer du plaisir enfin découvert, est prête à tout pour combler la faim de son époux. Pour lui, elle se veut femme-étoffe. Qu’il la plie et l’use à force de la toucher. C’est ainsi et seulement ainsi qu’elle sait désormais respirer. Joseph, pourtant, s’éloigne et le corps délaissé d’Henriette s’étiole, disparait. Le drame final arrimera certes Henriette à la vie, et Joseph à Henriette. Mais leur union est désormais un papillon épinglé. Une jolie chose morte.
Entre ces deux destinées de femmes résistantes, des ponts sont jetés : la musique est encore et toujours une force échappant à l’érosion ; un salut pour le corps et l’âme. Les enfants sont des miroirs mais aussi l’horizon. Le chagrin, parce qu’il dévaste, oblige à la réinvention. Montrant une capacité à étirer le temps qui n’est pas sans rappeler la Virginia Woolf de Mrs Dalloway, Valentine Goby réussit à se tenir en équilibre entre l’ode au désir et son oraison. Cette parfaite coïncidence avec la vérité des corps est sans doute ce qui rend son texte à ce point saisissant.
© Carole Zalberg

Des corps en silence, Valentine Goby, Gallimard, 2010, 143 p.