« Mort et vie de Lili Riviera » par Jean-Pierre Lovichi

L’HUMANITE D’UNE POUPEE

Avec son roman Mort et vie de Lili Riviera, édité en 2005 par Phébus et réédité en 2014 par la collection poche d’Acte Sud, Babel, Carole Zalberg signe une portrait de femme remarquable mais aussi et surtout un hymne à la littérature comme humanisme.

Dès le titre, le lecteur se dit qu’il ne va pas lire une biographie comme les autres. Et d’ailleurs, tout n’est que fiction même si l’on pense évidemment à la trajectoire tragique d’une femme comme Lolo Ferrari étiquettée femme-aux-plus-gros-seins-du-monde. Tragique et sans doute également pathétique pour ce qu’il donne à voir la part la plus triste de ce que nous sommes.

Mais là n’est pas l’essentiel.

SOUS LA PEAU, LE SENSIBLE…

Carole Zalberg, si elle n’hésite pas à laisser son écriture se faire sensible, voir poésie notamment dans son premier chapitre (« Son pubis, un galet lisse ; le seuil qu’elle avait voulu prometteur. Inchangé, lui. Troublant sans doute pour qui pouvait l’être. »), évite le pathos.

Ici, pas de surcharge dans la phrase, ciselée, à l’inverse de ce que deviendront les seins de son héroïne. Les chapitres sont courts, rythmés. Les mots choisis claquent : « Quelqu’un comme Lili, avec ce corps et ce visage-là, n’a pas droit à la pudeur. Encore moins à l’intimité. Ca se traverse, ça se visite, ça se vandalise. On s’y déverse. Et c’est exactement ce que fait Dan, qui raconte à Lili ses petits malheurs et n’attend même pas d’elle qu’elle l’écoute. Entre deux complaintes, il tête une bouteuille de whisky qu’il tend ensuite à Lili sans la regarder. »

Et du reste, l’auteure n’hésite pas à prendre son texte à contre-pied. Elle écrit en effet dans son second chapitre où elle décrit l’arrivée des pompiers au domicile de Lili : « Mais quand ils arrivèrent, les élus, les chanceux dans l’appartement ravagé, il n’y avait plus rien à sauver. »

Or, et c’est bien tout le sens et la portée du livre, par la littérature, Carole Zalberg sauve Lili Riviera, lui redonne vie, lui accorde toute l’attention qu’elle n’a sans doute jamais eue, notamment dans son enfance.

MAGIE DE L’ECRITURE

Il fallait donc qu’elle meurt, Lili, que sa vie de poupée offerte aux regards lubriques et aux sexes mécaniques des hommes s’éteigne après avoir lentement sombré dans la léthargie salvatrice des anesthésies pour qu’elle redevienne enfin une femme dans toutes ses dimensions d’amour, de fragilité et de rêve.

Car oui, la chose, « ça », « la poupée gonflable en chair et en os », dont l’auteur dira également à l’occasion d’un voyage en train où un homme ira jusqu’à venir lui palper les seins tandis qu’elle essaie une fois de plus de s’échapper dans le sommeil : « Comme si elle était une baraque foraine ouverte en permanence aux curieux. », la chose donc est d’abord et avant tout une femme sentimentale née sans être désirée et dont la mère ne commencera à percevoir l’existence qu’une fois sa fille transformée en étrangeté… Mère qui n’avait jamais su s’occuper de ses proches et qui, comme bien souvent, a trouvé à donner son amour et son attention à d’autres.

Le roman de Carole Zalberg, tissé d’allers-retours de l’enfance et de l’adolescence perdue à un présent marqué par la mort omniprésente, est un conte moral comme elle l’annonce du reste en introduction. Moral entendu au sens plein de la philosophie.

QUAND LE TEXTE SE FAIT MIROIR

En effet, au delà du caractère extraordinaire du personnage principal, il nous interroge sur ce que nous pouvons devenir, quel que soit notre rôle de regardant ou de regardé. Il met en scène ce qu’il peut advenir chaque fois que nous renonçons à nous conduire selon l’impératif catégorique kantien qui nous intimait : Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien en toi qu’en autrui, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen. A nous méfier ainsi du narcissisme qui menace toujours.

Lili n’est que le reflet déformé de nombre de nos interrogations quand il est souvent si difficile de s’habiter soi-même, de cohabiter avec soi, l’étranger intérieur, d’accepter sa condition d’usurpateur qui passerait sa vie à se cacher. Ce peut être derrière l’écriture ou derrière un personnage de façade sculpté à coup de bistouri. A chacun sa méthode. Selon son parcours, ses rencontres et peut-être tout ce qui les conditionnent à savoir son éducation, laquelle, une fois encore s’agissant de Lili, semble donner raison au bon docteur Freud et être un échec patent. Terrible responsabilité donnée aux parents.

Le livre en creux donne des pistes de salut. Et peut-être dès les premières lignes. En effet, et grâce à ce texte magnifique, Carole Zalberg est bel et bien parvenue à « délivrer la petite en pleurs » qui se trouvait à l’intérieur de ce corps devenu grotesque et à nous la faire aimer. Enfin…

© Jean-Pierre Lovichi

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