Pierrette Fleutiaux à propos de "l'Invention du désir"

Rien n’est plus difficile que de rendre en mots ce qui du corps excède les mots. Ce qui est uniquement du corps, et du corps porté à une incandescence exceptionnelle. Il y a du langage organisé pour quasiment toutes les activités humaines, mais ce même langage est très démuni pour le bouleversement intérieur total d’un corps en ébullition amoureuse. La première phrase ici est capitale : « ce sont elles qui ont décidé, nos mains. »

Il me semble que Carole Zalberg arrive à se tenir au plus près de ces mains, à donner langage à ces mains.
Les métaphores : on a besoin de toute la matière qui fait le monde pour traduire ces moments, où les corps semblent en effet rejoindre l’au-delà des individus, rejoindre la matière du monde. Cela pourrait facilement devenir grandiloquent, ou gratuit,  mais justement Carole Zalberg parce qu’elle reste au plus près d’une vérité intérieure, parce qu’elle obéit à une rigueur esthétique qui, à mon sens, est aussi une rigueur morale, échappe à ce travers.

Aucune complaisance pornographique, aucune fanfreluche érotique, juste cela : ce mystère qui secoue deux corps.
Ce délire du corps ne flotte pas non plus dans un no man’s land éthéré. D’une façon non intrusive mais parfaitement claire, Carole Zalberg nous fait comprendre la situation concrète des deux amants, mariés chacun de leur côté, tenant à leur vie telle qu’elle s’est construite en dehors de l’autre. Cela est dit avec discrétion, respect et délicatesse : on est à cent lieues du drame bourgeois.

Le conditionnel, qui vient parfois moduler le récit, fait aussi sa place au fantasme, à l’emballement mental, à la solitude où s’élaborent et vibrent les formes à la fois précises et fuyantes du désir. D’où, je suppose, le titre.
Quant à l’écriture, l’invention du désir est ici – magistralement – l’invention des mots du désir.

Pierrette Fleutiaux (dernier ouvrage paru : Bonjour Anne, Actes Sud)

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