A propos de Vers la douceur, de François Bégaudeau

A propos de Vers la douceur, de François Bégaudeau (qui sera mon invité le 11 juin 2009 à la Terrasse de Gutenberg; lectures par l’auteur et la comédienne et metteur en scène Cécile Backès)

Vous me conjuguerez  « vivre » au présent compliqué

Il ne fait pas dans le joli, Bégaudeau.

Nulle démonstration paysagiste dans ses phrases cadencées à l’oreille, composées comme on le dirait d’une stimulante salade d’été : sens et sons justement dosés pour former une symphonie non pas du réel mais de son écho. Et parce qu’il ne fait pas dans le joli, la beauté de son roman, logée dans la précision des images, la vitalité du rire et l’émotion sourde, brutale, même, dont la lecture est ponctuée,  se déploie avec d’autant plus de force qu’on ne l’attend pas.

Roman de trentenaires, nous dit-on. Chronique d’un désordre amoureux qui serait celui d’aujourd’hui.  Jules, journaliste sportif et vagabond du sentiment, recense, en vrac et sans embellissements, coucheries heureuses ou aussi peu satisfaisantes qu’un dialogue de sourds,  alliances et ruptures, trahisons et déceptions en tous genres.  Au coin de l’œil de Jules, l’actu, toujours. Plus qu’un arrière-plan à des pérégrinations contemporaines.  Le monde en mouvements, en formation et déformations ; dans lequel il faut bien le vivre le désir. S’en débrouiller.

Pour y parvenir, chacun sa route. Jules tente, cherche, rêve la paix et se réveille en sursaut : tout reste à faire pour enfin se poser. Peu importe, puisque c’est ainsi qu’il est vivant. Gilles couve sa dépression comme une poule ses œufs. Le connard adopte la panoplie complète du connard et dans ce déguisement se sent à l’abri. Cathy cultive la lucidité avec des soins de jardinier : à regarder d’avance les hommes la quitter elle en est moins blessée. Elle se l’était bien dit que celui-là aussi finirait par ne plus voir que son gros cul. Elle n’est donc ni trahie ni déçue.  Fabrice, Jeanne, Sophie, Bulle, tous avancent ainsi en funambules au dessus du vide où doit s’inventer leur vie. Tous sauf Flup et son prénom d’extraterrestre ou de dauphin gentil à faire fondre. Pour le jeune homme à qui l’on prête volontiers la grâce de ceux sur qui glisse la laideur, vivre consiste certes à embrasser le monde, mais littéralement.  Ce sublime farfelu qui offre à ses amis sa fragilité et leur donne ainsi l’impression d’être forts et utiles ne connaît qu’une forme d’élan : l’abandon, aux êtres et aux choses, à la poésie fugace des villes, à la saveur unique de l’instant présent.

C’est en le suivant, en collant à sa roue, qu’on ira vers la douceur.

Chronique également en ligne sur www.decitre.fr

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