« Loli le temps venu » ou le journal des révélations
Fred Vargas décrit son personnage récurrent, le commissaire Adamsberg, comme un « pelleteur de nuages ». C’est ainsi qu’il nomme sa manière très personnelle de réfléchir, laissant, tandis qu’il déambule, ses pensées voleter autour de lui jusqu’à ce qu’elles composent un motif, ouvrent une brèche, se réorganisent en un faisceau de lumière. Pierrette Fleutiaux appartient à cette même famille de rêveurs pertinents, de promeneurs de la pensée sachant se rendre si poreux, si ouverts à ce qui les entoure que le sens les traverse, les rejoint, même, telles des particules jusqu’alors disséminées mais profondément, mystérieusement liées à eux.
« Loli le temps venu », le dernier ouvrage de Pierrette Fleutiaux, qui poursuit, après « Des phrases courtes ma chérie », « La saison de mon contentement » et « Bonjour Anne », ce qui apparaît a posteriori comme une série de l’intime en butte à l’univers, s’inscrit tout particulièrement dans cette veine poétique et baladeuse.
Le livre est en quelque sorte la trace, la capture attentive, respectueuse et souvent sidérée des courants, fulgurances, émotions, secousses et révélations provoqués par l’apparition, dans la vie de l’écrivain, de sa première petite-fille. Pierrette Fleutiaux y consigne en effet le bouleversement jamais anticipé qu’a produit en elle cette naissance. Elle s’attachera surtout à saisir le temps d’avant la parole, en femme de mots qui entrevoit, prise de vertiges, la puissance de ce qui circule dans l’absence de la langue, dans cet espace invisible et mouvant mais perceptible par brèves et miraculeuses percées, où l’humain est ce qu’il est depuis l’aube de son histoire, est aussi ce qu’il sera à l’heure de s’éteindre ou de finir de muter si radicalement que son lien à l’homme d’aujourd’hui aura sans doute été peu à peu oublié. Le livre – son principe, son désir et sa nécessité – est né à la faveur de l’une de ces percées.
Le résultat est d’une grâce et d’une vérité extraordinaire. Ce texte quasi amoureux (de l’enfant, de la vie qui sait s’imposer envers et contre les horreurs du monde) rend à l’être humain sa juste place d’élément de l’univers. A travers l’existence de sa petite-fille, la grand-mère est non pas renouvelée mais réinvestie, déployée, ouverte par mille canaux à ce qui l’entoure ou l’habite.
Là où on attendait de l’intime, on le trouve, bien sûr, mais si sensible, si frémissant qu’il touche au cosmique, presque au sacré, lumière et ténèbres confondues, parce que la magie de l’enfant neuve, ou plutôt le regard de la grand-mère sur l’enfant neuve sait les embrasser. C’est aussi et surtout une œuvre généreuse, portée par la joie du partage avec le lecteur tour à tour ému, ébloui, amusé. Heureux et reconnaissant de ce cadeau.
© Carole Zalberg
« Loli le temps venu », de Pierrette Fleutiaux, Odile Jacob, 2013.