Eterview de Thomas Hofnung

Eterview de Thomas Hofnung, journaliste à Libération, auteur de Désespoirs de paix, chez Atlantica, et de George Marchais, L’inconnu du PCF, Editions de l’Archipel

par Frédéric Vignale

1. Avez-vous conscience d’avoir le physique de votre emploi. La belle gueule du baroudeur qui parcourt le monde?

photo de Thomas Hofnung

Thomas Hofnung

Est-ce que le journaliste entre dans un jeu de séduction avec les autres ou alors c’est quelque chose dont vous n’avez pas conscience et qui vous importe peu ?

Belle gueule, belle gueule, c’est vous qui le dites! Tout dépend de l’endroit où on se trouve. Une « belle gueule », si tant est que j’en ai une, ne sert pas à grand chose quand on discute avec des réfugiés qui ont tout perdu au fin fond de la Bosnie. Au festival de Cannes, peut-être, mais je n’y suis jamais allé… Je crois beaucoup plus à l’empathie pour établir le contact avec quelqu’un. Une personne se confiera d’autant plus à vous qu’elle se sentira comprise (je ne dis pas approuvée), et pas jugée. Je ne suis pas un adepte des questions coup de poing… Sauf face aux « politiques ».

2. « Désespoirs de paix » est un livre de témoignage ou un exorcisme pour vous ?

Un témoignage, car ayant couvert l’après-guerre en Bosnie et en Croatie (dans les années 1995-97), je n’ai pas été le témoin direct d’atrocités. En revanche, j’ai vu les maisons détruites, les tours de Sarajevo vérolées, des exhumations de charniers… Autant de choses qui s’inscrivent profondément et qui nourrissent des interrogations incessantes sur ce que devait être la guerre. Je mentirai, donc, si je disais que je n’ai pas été remué par cette vision plutôt apocalyptique de l’après-guerre. J’ai voulu raconter cette période qui suit la fin des combats, qui a été très mal couverte dans les médias. Pas si inintéressante que cela: retour des réfugiés, traque des criminels de guerre, reconstruction économique et débarquement de l’Otan dans le magasin de porcelaine bosniaque… Avant tout, j’ai essayé de parler des gens que j’ai croisés sur place. Histoire d’incarner un peu cette région attachante. La vie continue, hélas la paix n’a pas tenu ses promesses dans les Balkans…

3. Quand on a été comme vous correspondant à Sarajevo puis à Zagreb et pour plusieurs médias francophones, on a quel regard sur la presse spectacle comme l’épisode de la guerre du Golfe sur la Cinquième ?

On est forcément navré. Ce qui m’attriste, surtout, c’est que la presse ne soit pas capable de se taire quand elle n’a rien à montrer, expliquer ou rapporter. L’antenne est un ogre qu’il faut alimenter en permanence. Sinon, croit-on aux étages supérieurs des médias, le public va aller voir (ou lire) ailleurs. Erreur: je crois profondément que les téléspectateurs (lecteurs et auditeurs) ne sont pas des cons et qu’ils n’aiment pas qu’on les prenne pour des consommateurs bêtes et méchants

d’infos, ou plutôt de non-infos… On a fait des progrès pendant la guerre du Kosovo. Hélas!, c’est reparti pour un tour grâce à Ben Laden. Quand on exhibe une carte de l’Afghanistan à la TV, je zappe…

4. Que pensez-vous de l’attitude pro-serbe de l’écrivain Patrick Besson ?

Je pense que cela relève de la psychiatrie. D’ailleurs, Besson n’était pas pro-serbe, mais pro-Milosevic. Je suis le premier à dire (et je l’ai écrit) qu’il ne faut pas généraliser, qu’il convenait de ne pas identifier tout le peuple serbe avec le régime de Milosevic. En arrivant sur le « théâtre des opérations », comme on dit, j’ai découvert que, comme partout, il y avait parmi eux des justes, des peureux, des salauds, des têtes brûlées, une majorité silencieuse. L’un de mes meilleurs amis est un Serbe de Croatie, réfugié aujourd’hui à Belgrade. Mais ce sont quand même des Serbes qui ont rasé Vukovar (1991), détruit Sarajevo (1992-1995) et massacré toute la population en âge de combattre de Srebrenica (été 1995). Aimer les Serbes, ou plutôt les respecter, c’est leur dire leur quatre vérités en face. Je serai curieux d’entendre Patrick Besson sur la question maintenant que les Serbes se sont débarrassés de Milosevic…

5. Pour travailler à Libération, il faut être militant ?

Pas le moins du monde. En tout cas, on ne m’a pas demandé si j’étais encarté… Donc, pour être embauché, no problemo. Pour être accepté par les « historiques » (les militants, précisément), c’est une autre histoire.

6. Que faisiez-vous le 11 septembre 2001 alors que New-York flambait ?

Je rentrais de déjeuner (un peu tard, je l’avoue…) quand j’ai aperçu quatre ou cinq personnes la mâchoire grande ouverte devant la télé qui trône dans le hall du journal. Le deuxième avion venait juste de percuter la deuxième tour (indice concernant la fin de mon déjeuner…). A l’étage où je travaille, une trentaine de personnes étaient rassemblées devant une autre TV. Comme tous ceux qui ont assisté en direct à la tragédie, nous n’avons pas pu nous en défaire pendant un temps que je ne déterminerai pas avec certitude.

7. La « World compagny » imaginée par les Guignols existe-t-elle ?

Vous pensez à Oussama Ben Laden and co? Je pense à ces compagnies qui font la pluie et le beau temps dans certains pays, en général pauvres. A cet égard, la World compagny porte parfois un nom français: si cela commence par un T., que cette compagnie a affrété un bateau responsable d’une belle marée noire récemment, et, encore plus récemment, a fait la « une » de l’actualité à la suite d’une énorme explosion du côté de Toulouse, vous voyez ce que je veux dire?

8. Votre regard sur les conflits s’apparente-t’il à celui du sociologue ou de l’historien ?

Ni l’un ni l’autre, même si j’ai une formation (courte) d’historien. Dans les Balkans, j’étais un étranger et un témoin qui essayait de comprendre ce qui s’était passé et ce qui se tramait. Ce n’est qu’a posteriori que l’écriture peut s’apparenter à celle d’un historien.

9. Votre pire souvenir de la guerre dans les Balkans ?

Un souvenir télévisuel: le général Mladic (un copain de Patrick Besson) qui caresse la tête d’un bambin appeuré à Srebrenica, avant d’embarquer tous les hommes vers le peloton d’exécution…

10. Que peut-on souhaiter dans l’avenir pour le peuple serbe ?

Qu’il fasse son examen de conscience, reconnaisse la folie de ses anciens dirigeants, soutienne leur jugement devant les tribunaux (internationaux ou, mieux même, nationaux) et se réinsère totalement dans la communauté internationale.

11. Pourriez-vous travailler pour CNN ?

Pas plus pour CNN que pour France 2, TF1 ou Arte. Je regarde la TV, je ne crache pas dessus, mais je préfère mon bloc-note discret à une grosse caméra, un preneur de son, etc. Mais la participation à la réalisation d’un documentaire me tenterait assez.

12. Comment gère-t-on sa peur quand on est en reportage ?

Encore une fois, je ne suis qu’un modeste reporteur d’après-guerre. J’ai parfois eu peur (barricades de réfugiés, risque de mines…), mais je ne me suis jamais trouvé en situation périlleuse… Je pense souvent à ce confrère du Figaro qui a vécu quasiment tout le siège de Sarajevo et qui me racontait les réactions inattendues des uns et des autres face au danger: le caïd qui s’effondre de peur dès le premier obus et le garçon fragile, introverti, qui reste impassible… Comment réagirai-je? Et vous? Impossible de le savoir tant qu’on n’y est pas.

13. La phrase de vous que vous préférez ?

Rouge ou blanc?

14. Est-ce que la littérature est une oasis de paix pour vous, un refuge. Si oui laquelle ?

Non, ce serait plutôt la musique (pop). Pour revenir à la littérature, je prise les romans à caractère historique ou politique, genre Arthur Koestler ou John Le Carré. Très monomaniaque, vous voyez…

15. Que vous inspire la polémique autour de Plateforme de Houellebecq ?

Du dépit. Beaucoup de bruit pour rien, selon moi… et surtout l’envie de ne pas le lire, ou du moins pas tout de suite. J’aurais l’impression d’être victime d’un conditionnement de masse.

16. Quelle est votre définition de la déontologie journalistique ?

Aborder un fait avec le moins de préjugés possibles.

17. Pouvez-vous vous définir en 5 mots commençant par « H » ?

Hyper-sympa, hypocondriaque, humble, humeur (bonne), hamburger (amateur de)

18. La chose que vous aimez que l’on dise de vous ?

Thomas Hofnung is a very nice guy

19. Le projet que vous avez le plus à coeur ?

Voir grandir mes enfants

20. La question finale que vous aimeriez que je vous pose ?

Que pensez-vous de Georges Marchais? Réponse (anticipée): voir dans toutes les bonnes librairies.

Copyright , tous droits réservés. http://www.eterviews.com et FV.(Septembre 2001)

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