Desseins et mort de Lili Riviera
D’un sujet scabreux, médiatique et polémique à souhait mettant en scène une blonde à forte poitrine siliconée finissant tragiquement, d’un fait divers pathétique en phase avec son époque et ses miroirs aux alouettes, d’un itinéraire d’oubliée de l’amour devenue esclave des désirs putrides et intéressés des hommes, l’écrivain Carole Zalberg réussit à construire un roman aux formes et au fond inhabituels. Une œuvre saisissante qu’on aime pour son esprit et non pour ses pulpeux appâts. Un exercice littéraire très personnel, offrant une vision tendre et cruelle, à la fois distanciée et intimiste, la grandeur illusoire et les décadences d’un personnage en métamorphose et en sursis dans notre époque tourmentée ; Lili Riviera.
Ne cédant à aucune facilité, ni voyeurisme ni encore impudeur, le style élégant de l’écrivain emprunt d’une prose poétique pour le moins anachronique, Carole Zalberg est le scribe magnifique et digne d’un conte moderne qui touchera les garçons comme les filles, un véritable témoignage sociologique et psychologique sur un parcours que la beauté et la finesse de l’écriture fictionnelle rendent parfaitement littéraire avec des passages d’une poésie éblouissante.
« Ses seins énormes flottant bêtement ; non plus des masses chaudes qu’on aurait voulu caresser, masser, soupeser, mais deux ballons perdus dans l’océan satin des draps (…). »
Tout est clairement expliqué dans « l’avertissement de l’auteur » qui, en guise d’incipit, présente l’étrange mais passionnant, pertinent positionnement de l’écrivain face à ce roman incroyablement traité et maîtrisé qu’est « Mort et vie de Lili Riviera ».
En grande sœur, en témoin privilégié, attentif, en portraitiste hors pair, Carole Zalberg a décidé d’être le biographe post mortem d’une femme de passage, d’une comète clignotante, victime d’elle-même et de son lourd déficit affectif.
Véritable caméra embarquée aux tréfonds du cortex d’une femme exhibée, utilisée et condamnée à mort par elle-même et la société, « Mort et vie de Lili Riviera » ne juge pas, ne condamne pas et ne jette pas un vilain regard sur une désespérance qui inspire souvent la moquerie ou le malsain plutôt qu’une compassion respectueuse.
Carole Zalberg signe là, sans aucun doute, son meilleur roman avec cette quatrième irruption réussie en Littérature. L’alibi de Lili, le prétexte mammaire de la monstresse fellinienne permettent à l’auteur de trouver la distance la meilleure pour offrir peut-être son livre le plus sincère, lisible, et se livrer elle-même comme jamais elle n’avait pu le faire avant dans la fiction.
Par un curieux mécanisme, par un troublant mimétisme, Lili apparaît ainsi au fil des pages comme un double de l’écrivain, forcément exagéré, archétypique mais suffisamment proche pour qu’une véritable filiation de cœur s’installe. Lili partage tant de choses avec sa créatrice qu’un filigrane féminin, référentiel, finit par brouiller les cartes (du tendre). Deux jolies blondes du même âge font mémoire commune au nom de l’Art, l’une nourrissant le destin de l’autre sous le regard sculptant du Docteur Z. …comme Zalberg.
Un mythe contemporain revu et sublimé par un grand écrivain. A lire pour ne pas pleurer des « Riviera » de regrets. On vous aura prévenu.
Lire la critique de ce livre par l’écrivain Alexandre Moix
Mort et vie de Lili Riviera, Carole Zalberg , Editions Phébus, 158 pages (2005), 12 euros
par Frédéric Vignale
source : http://www.lemague.net/dyn/article.php3?id_article=1187