A propos de Les Mémoires d’un arbre, par Caroline Lonheux | ||||
19/03/02 | ||||
Dès le 20 mars vous pourrez découvrir en librairie Les mémoires d’un arbre, premier roman de Carole Zalberg. Ce livre, publié au Cherche midi éditeur, n’a rien d’un premier opus maladroit où l’auteur se cherche encore, trop enjoué par l’idée euphorique d’une éventuelle parution.
Dans Les mémoires d’un arbre, le lecteur s’appuie avec confiance contre l’écorce de la maturité et se laisse guider, telle une feuille emportée par le vent, par une prose douce et subtile qui enjolive des souvenirs, laissant libre cours à l’imagination. Le récit est celui d’un arbre qui a traversé siècles et histoires humaines : amères, révoltantes ou attendrissantes. L’arbre a joué, tour à tour, les rôles prêtés par ces êtres qu’il contemple et apprend à connaître d’années en années et de tempêtes en progrès. Derrière chaque mot, chaque phrase se cache une histoire potentielle et l’arbre ne raconte pas simplement son vécu mais celui des hommes qui ont croisé son destin et se sont reposés ou déchirés sous ses branches. On suit le développement de cet arbre comme on regarde tendrement un enfant faire ses premiers pas et s’envoler vers de nouveaux horizons. De ce roman, chaque lecteur se fera sa propre vision, certains y voyant une grande métaphore artistique sur la vie, d’autres un regard unique et sans précédent sur la nature humaine. Mais quelle que soit la conception choisie, cette liberté d’interprétation donne à ce roman un force extraordinaire. Carole Zalberg nous dévoile, dans ce premier livre, son amour des mots et sa passion pour l’observation des gens qui l’entourent. Ces sentiments et la sensibilité de l’auteur auront transformé ce roman en un livre incontournable et non en récit vain d’un « écrit vain ». Les premières pages tournées, le lecteur s’assied à l’ombre de la sérénité pour savourer le flot de morphèmes et passe de branche en branche au rythme des diverses anecdotes racontées par l’arbre. Cette histoire décrite par ce végétal enraciné se lit aussi facilement que l’eau jaillit d’une source et réjouit autant que les premiers bourgeons apparaissant au printemps. Les sujets les plus divers y sont abordés, surprenant toujours. Sans se vouloir moraliste, l’écrivain expose l’inceste, le rôle de la femme dans la société, la famille et tant d’autres domaines inattendus. Au grand bonheur du lecteur, on ne peut séparer le style du contenu, le tout semblant être une pelote de laine qui se déroule au fil des envies, même inconscientes, de l’auteur. L’intemporalité joue un rôle prépondérant et force encore l’imaginaire. On ne sait ni où ni quand l’histoire se déroule. La seule indication dont nous disposons est : « Paris et Ajaccio entre deux siècles ». Toutefois, même sans précision d’époque et de lieu, chaque chapitre correspond à une nouvelle étape de la vie de cet arbre qui découvre, peu à peu, qui il est et qui sont ces hommes vivant tant d’histoires à proximité de ses racines. Chaque page se décline selon sa vision qui se métamorphose au fil du temps, des hommes et du monde. Dès l’émerveillement des premiers instants de sa vie, l’arbre se rend compte qu’il n’est pas simple spectateur de cette nature humaine, il la vit et en souffre parfois. Son existence est faite de vénération et de coups marqués dans son écorce, de tempêtes et de bêtise humaine. Il est tour à tour vénéré ou maudit, apprécié ou abattu. De ses méticuleuses observations, il a retenu que les hommes sont capables du meilleur comme du pire. Il connaît leur passion pour le pouvoir, leur cruauté. L’arbre sait aussi qu’il est un ultime refuge où ces hommes viennent enfouir sanglots et désespoirs, à l’abri des regards. Il a été le spectateur passif de la bestialité humaine mais sa vitalité a fait vivre hommes et oiseaux. Il a été confident et témoin de scènes incroyables. Ces scènes que les hommes voulaient cacher, sans se douter que tout resterait à jamais gravé au fond de la mémoire de celui au pied duquel ils s’étaient appuyés. Ce témoin privilégié des siècles et des événements sait à l’arrivée du béton en son antre ce qui le sauvera. Il a ce que les hommes rêvent de posséder. Ces hommes fragiles, mortels et faillibles lui envient en effet une quasi-éternité dont lui n’a que faire. Son unique bonheur est d’écouter et d’observer. Ce roman est une véritable surprise et sa lecture un plaisir. On ne ressort pas indemne d’autant d’histoires et d’apprentissages. On se pose des questions sur la nature humaine. Et même si on sent que le seul but de l’auteur est la passion et non les leçons, elle nous fait réfléchir, remettre en question nos comportements et notre société : voir d’un autre œil ce monde dans lequel nous vivons où tout nous semble naturel alors que tout est artificiel. La totalité de l’ouvrage nous interpelle, les histoires connexes, le poids et le choix des mots. La mise en oeuvre de l’écrivain a fait passer le développement de l’histoire et du style de manière subtile, naturelle et cohérente. On ne sait pas d’où l’on part en ouvrant ce livre mais le contexte des dernières pages nous est malheureusement familier. De cette vision intelligente et juste de l’Homme, menée sans fausse pudeur et avec humilité, on retiendra que le roman ne tient pas seulement du rêve ou de la réflexion imaginaire de l’écrivain. Mais que les meilleurs écrits sont ceux qui, finalement, ont laissé voguer notre imagination tout en nous ramenant à petits pas vers la réalité. L’arbre et l’auteur ont rempli leur mission, celle de nous tenir en haleine à l’abri des feuilles d’un très bon roman. Des Mémoires d’un arbre, il nous reste la vision d’un arbre au soleil, le bruissement d’une feuille sous le vent, le souvenir d’une cueillette de cerises en été et surtout les délicieux moments passés à lire la prose de l’écrivain. Cet arbre là restera au fond de nos mémoires, comme ses souvenirs. Carole Zalberg a peut-être instauré un nouveau style littéraire : celui où le pouvoir de la démonstration absolue ou de la théorisation à tort et en travers n’ont plus leur raison d’être. L’écrivain a réussi à mettre en œuvre ses pensées par la seule densité des mots et le choix des bons termes. Le besoin de systèmes, de définitions ou de modes d’emploi est devenu superflu. Le lecteur vogue sur les sensations de clarté et de liberté exprimées au travers des Mémoires d’un arbre comme sur un long fleuve tranquille. Les mémoires d’un arbre, Carole Zalberg, Le Cherche Midi éditeur, 2002, 128p. |
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