A propos d’Efina, de Noëlle Revaz

A propos d’Efina, de Noëlle Revaz.

La romancière s’amuse

Dans Rapport aux bêtes, son premier roman, publié il y a sept ans, Noëlle Revaz avait inventé une langue pour dire un lien frustre, violent entre un paysan de nulle part en particulier et sa femme, Vulve. Ce prénom, à lui seul, dans le monologue terrible et hilarant du mari, nous cognait à chaque apparition.  Avec Efina, l’invention porte moins sur les mots eux-mêmes que sur la manière de mener cette histoire d’amour et d’illusion.

Impossible de raconter le pas de deux dans lequel Revaz engage Efina et T., ses personnages. Seul se laisse saisir le point de départ non pas de la relation mais, en quelque sorte, de sa réactivation. Efina voit jouer T. Lui revient alors le souvenir vague mais l’impression forte d’une lettre envoyée autrefois par l’acteur encore jeune homme.  On ne connaîtra ni le contenu de cette lettre ni le nom de T. Mais le programme de ces deux êtres est déclenché, le poison et la douceur de leur lien commence à se répandre à cet instant là, où Efina voit T., ne le reconnaît pas mais sait de nouveau qu’il lui a écrit. D’autres lettres seront rédigées, avec froideur ou frénésie, envoyées ou non, sincères ou mensongères, voulant caresser ou piquer, qu’importe : avec elles c’est l’histoire qui se tisse, Efina et T. se tenant chacun à un bout du métier et, au-dessus d’eux, Revaz, maîtresse du temps, du ton, des couleurs, chorégraphe jamais à cours de trouvailles pour nous garder captifs du ballet qu’elle crée.

Et l’on sent le plaisir que prend la romancière à installer ses pistes puis, dans la même phrase, parfois, à nous égarer. Ainsi croit-on avoir enfin saisi le caractère de l’un ou de l’autre, se laisse-t-on aller à imaginer des péripéties, un dénouement , que Revaz aussitôt reprend ses billes, les mélange, relance le récit, déplaçant à loisir ses personnages sur l’échiquier des sentiments.  Ils passent ainsi, et plus d’une fois, par les cases mariage, enfant, travail, mais rien ne semble s’ancrer en eux ni les ancrer eux au monde où il leur faut pourtant bien exister. Chacun flotte à sa façon. T. Pour se lester doit faire son plein de rôles : dire les mots des autres et, le temps de les héberger, en être densifié. En dehors de ça, T. ne se sent pas. Il confie ses contours  aux bons soins d’épouses successives qu’il s’empresse de tromper. T. est en effet le champion de la fugue, le roi de la trahison ; toujours cette manie de flotter. Efina, pour s’arrimer, promène des chiens interchangeables, essaie des maris, des styles, des occupations, élève un enfant, source de joie puis d’encombrement. Elle aussi joue, en fait,  mais sans jouir de la bénédiction des planches.  Et l’un et l’autre s’écrivent, comme on lancerait des grappins sur une paroi abrupte.  C’est ainsi qu’ils parviennent à ne pas disparaître dans le vide au-dessus duquel les promène Revaz non sans cruauté.

Il y a quelque chose de cauchemardesque dans ces êtres imprécis, échappant sans cesse à la définition, trempés dans un bain qui n’est pas le quotidien mais peut-être sa décomposition – frontières de lieu et de temps abolies pour mieux en montrer les effets et les dégâts. Car il est finalement beaucoup question du corps qui change et lâche dans Efina. Il est question du désarroi face à ce qu’aucun lien ne peut empêcher : vieillir jusqu’au cimetière, « la maison des oiseaux ».

Efina, Noëlle Revaz, Gallimard, 2009

Article paru dans Le magazine des livres de décembre 2009

Par Carole Zalberg

Carole Zalberg est Romancière. Née en 1965 et vit à Paris. Elle est administratrice de la SGDL depuis 2012 et secrétaire générale depuis juin 2014.

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