Du fait divers au mythe, le roman saisissant de l’outrance et de la quête d’amour.
Quelle femme (quel homme) ne s’est pas posé de questions sur celle qui a défrayé la chronique en se transformant en objet chirurgicalement recomposé, bouche en cul de poule et prothèses mammaires si outrageusement siliconées qu’elles la faisaient ressembler à une de ces Vénus paléolithique de la fécondité ? Quelle rage de se détruire, quelle tragédie personnelle se cachaient-elles derrière ce corps martyrisé ? Loin de toute curiosité morbide ou mal placée, Carole Zalberg s’empare de ce personnage public pour essayer de comprendre. Elle ne connaît quasiment rien d’elle. Elle va lui inventer un nom, une vie. Ou plutôt une mort… lente.
Construit en deux spirales qui se rejoignent et s’éclairent, le roman de Lili Riviera alterne les scènes des derniers jours, sordides et poignantes, et celles qui recréent son enfance et son adolescence. Car tout, toujours, revient aux premières années, à l’amour qu’on a eu ou pas, et après lequel on court sans relâche, quitte à se fourvoyer. Bien sûr, il est rare d’aller aussi loin que Lili dans la détestation de soi. Il est rare de faire appel à des remèdes aussi radicaux pour réparer les blessures originelles. Cependant, le fil est fragile, sur lequel chacun se tient en équilibre, et s’il se rompt…
D’un sujet qui aurait pu être scabreux, Carole Zalberg bannit tout voyeurisee, se coule dans la peau suppliciée de Lili pour écrire au plus près de son modèle. L’empathie, la compassion éclatent à chaque page. Le sort de cette femme, manipulée mais consentante, sa longue descente aux enfers, émeuvent au plus profond des tripes, grâce à la juste distance que l’auteure a su prendre par rapport à son sujet. Une distance ténue, à peine un souffle. L’écriture est resserrée, précise. L’élégance de ton que l’on connaît à Carole Zalberg se double ici de moments d’une intensité poétique confondante. Jamais ne jugeant, encore moins ne condamnant, elle matérialise sous sa plume pleine de tendresse cette recherche obstinée, semblable à un chemin de croix. Et l’on réalise avec effroi que nous sommes tous des Lili en puissance. Force des mots, force de la littérature pour aller à l’universel en partant d’un fait divers cruel. Et construire un tombeau en forme de mythe saisissant à cette femme désespérée qui s’est elle-même immolée sur l’autel de la quête d’amour.
Marianne Spozio
Carole Zalberg, Mort et vie de Lili Riviera, Phébus, 2005, 158 pages, 12 €
source : http://www.avoir-alire.com/article.php3?id_article=6350