A propos de Les derniers feux, de Thomas B. Reverdy

Thomas B. Reverdy : la mémoire élémentaire

Dans Les derniers feux, son troisième roman après La Montée des eaux et Le Ciel pour mémoire, Thomas B. Reverdy explore encore – une ultime  fois ? – le pays âpre de la perte et du souvenir.

Au moment où Thomas, le narrateur, est sur le point de vendre la maison familiale, un grand vaisseau peuplé de fantômes qu’il se sent enfin prêt, après avoir sauvé quelques rares vestiges,  à abandonner aux eaux profondes, où nul ne plonge, à ce moment, donc, d’un possible renouveau, il apprend par  le journal la mort de son père. L’annonce de ce décès, c’est une main surgissant du passé pour l’y retenir. Ou plutôt l’y ramener puisque ce père, parti quand Thomas était trop petit pour avoir engrangé quoi que ce soit de lui, n’est qu’une absence ; un vide dans lequel s’est ensuite lovée la mort de sa mère et qu’il va lui falloir combler, ou au moins contempler en se rendant à son enterrement, dans le Sud.  Commence alors un voyage foutraque et tendre où Reverdy  embarque le lecteur en même temps que sa compagne, son fils et la bande de bras cassés qui fait corps autour de lui : ses amis.

Car à la douleur du deuil, à l’absurdité des destins, Thomas  le personnage – et sans doute, on le pressent, Thomas la personne – sait répondre : il s’entoure de tendresse,  laisse le désordre de son entourage lever comme une pâte moelleuse à l’intérieur de laquelle on sent moins les coups, un mur capitonné où la peur, à force d’être atténuée, se lasse, peut céder. C’est aussi en aimant que Thomas s’apaise, en distribuant caresses et pensées bienveillantes. Il a ce talent là, de ne pas juger, d’accueillir en lui tels qu’ils sont les êtres chers.  Ici l’amour et l’amitié ne sont pas des élans distincts mais une même façon d’être au monde. Marine, la compagne et Camille, le fils, sont emmaillotés dans les gestes et les actes du groupe. On pense et vit collectif non pour obéir à un principe mais par nécessité.  C’est l’ensemble qui respire, boit, pleure, agit dans une conscience partagée. Le roman de « potes », cher aux Américains notamment, trempé par Reverdy dans un bouillon où mijote ce que d’habitude on n’y trouve pas mélangé : la douceur et les divagations, les corps abîmés et leur beauté, l’ivresse et l’attention aux autres, le noyau familial que les éléments extérieurs protègent au lieu de menacer, ce genre qui montre habituellement la bande comme une persistance, quelque chose à dépasser pour commencer une « vraie » vie d’adultes responsables, s’en trouve singulièrement renouvelé.

Cette entité essentielle des proches, Thomas la contemple et la raconte comme les paysages traversés au long du récit ou ceux dont il se souvient, comme il contemplait sa mère autrefois, lorsque son corps à peine sorti d’un bain de mer, un temps perdu pour l’enfant plein d’effroi puis retrouvé dans l’éblouissement,  offrait ses reliefs, ses odeurs, son goût. Tout le roman repose sur cette perception unique portée par une écriture quasi organique : la matière réinventée où passé présent et futur s’avanceraient ensemble, où les éléments, surtout, ne seraient ni dedans ni dehors mais simplement là ; air, eau, feu se poursuivant en soi sans rupture, telle  une garantie d’appartenir au monde. D’être en vie.

Carole Zalberg

Les derniers feux, Seuil, 2008