A propos d'Et qu'on m'emporte dans le Populaire du Centre

« Un livre d’une tension extrême sur l’incapacité d’être mère », par Jean-Guy Soumy

Père, mère, « mauvais »…

Le thème du « mauvais » père, de la « mauvaise » mère, traverse la littérature. Deux livres récents abordent frontalement ce sujet. Leurs auteurs sont des femmes et ce n’est pas indifférent.

Jean-Guy Soumy

(…) Carole Zalberg dans « Et qu’on m’emporte« , donne, quant à elle et sans trembler, la parole à une femme au crépuscule de sa vie, revenant avec lucidité sur son incapacité à aimer une enfant disparue.

(…C »est le propre de certains romans que d’éclairer une époque. « Et qu’on m’emporte« , monologue d’une femme malade sur son lit de douleur, parle infiniment de la condition féminine depuis l’après-guerre, affrontant au passage la question de l’amour maternel.

La narratrice est clouée sur un lit et sait qu’elle ne se relèvera pas. Ses idées s’enroulent autour de souvenirs qu’elle ne parvient plus à chasser. Au premier rang de ceux-ci un caillou rose qu’un jour sa fille lui a remis . »Alors que je n’y avais jamais repensé, le jour où tu as failli te noyer, celui du caillou rose que tu m’avais tendu ensuite tel un trophée ou la matérialisation de ton reproche, m’est revenu le premier avec une précision folle. »

Mais le caillou rose est perdu. Seul demeure le souvenir de l’épisode au bord de la rivière.

« Pétrifiée sur mon lit comme sur cette rive il y a tant d’années, tandis que ton père avait bondi, te sauvait, je serrais les poings et les dents. Je ressentais cette même terreur léthargique, à aucun moment exprimée, et j’ai su ce qu’elle avait enfanté : après cela, je t’ai laissée hors de moi. J’avais trop détesté la peur constante de mes parents pour accepter qu’elle m’agrippe aussi. Et si je ne voulais pas avoir peur, il suffisait que je ne tienne à rien vraiment. »

Carole Zalberg nous dit cette femme qui choisit d’être une mère distante et irritable par peur de souffrir. « Oui, je m’en rends compte maintenant, cet amour-là, à partir du jour où tu s failli te noyer, le jour lumineux et laid du caillou rose et de ta voix brisée, je me suis évertuée à l’étouffer. » Certes, le goût de la liberté, de multiples aventures en des temps de libération, l’exaspération qui remplace la tendresse, l’égoïsme aussi, ont participé à l’éloignement de son enfant. Pourtant, cet aveu : « Il y a autre chose, et j’en crève de ne pouvoir te le dire : je n’ai jamais aimé personne comme je t’ai aimée, toi, au début. »

Carole Zalberg réussit un livre d’une tension extrême portée par une écriture sans complaisance. Tout est juste dans ce roman sur la peur : la peur pour soi, de soi, des autres, pour les autres. Cette peur qui éloigne de la vérité et rompt le charme de l’innocence. Qui nous fait tout au long de la vie basculer entre don et effroi.

Véronique Ovaldé à propos d'Et qu'on m'emporte

Dans la série des « mails qui font du bien »…

… celui-ci, reçu de Véronique Ovaldé (auteur, entre autres, du formidable Mon cœur transparent), et que je reproduis ici avec son autorisation :

« J’ai lu ton magnifique Et qu’on m’emporte.
Ce livre, comme tu l’auras deviné, m’a énormément plu. Il est puissant, violent, incarné. Le passage de la mort de la fille d’Emma est si fort (la voix « rauque et pulvérisée »). Et ce que dit Emma du secret des femmes « quelque chose de leurs secrets ne cède jamais ». Je trouve ton écriture viscérale et elle m’a vraiment emportée !

Dans L'est-éclair à propos d'Et qu'on m'emporte

Paru le 15/02/2009 dans L’est-éclair

 » Je ne sais trop quoi faire de l’idée qu’à coup sûr elle va me survivre . je t’ai survécu. je n’ignore rien de l’horreur que c’est. Même pour moi, qui me figurais ne plus t’aimer, ne plus du tout tenir à toi. J’avais parfaitement vécu sans toi toutes ces années, alors pourquoi aurais-je redouté de t’enterrer purement et simplement? Comment aurais-je pu prévoir que ta maladie puis ta disparition te remettraient, pour ainsi dire, là où tu aurais dû ne jamais cesser d’être? Dans ma chair et mes moindres pensées »

Avec sa mère âgée, Emma n’entretient pas des relations affectueuses. Avec ses enfants, surtout avec sa fille aînée, elle sait qu’elle n’a pas été une bonne mère. Or cette fille est morte et Emma elle-même très malade est au bout du voyage. Reviennent alors une foule de souvenirs.

Emma a croqué dans la vie sans s’occuper de celle des autres. Elle ne regrette rien sinon de ne pas avoir découvert assez tôt tout cet amour qu’elle portait à sa fille. Un amour qui prend le symbole d’un petit caillou rose, réminiscence d’une scène passée et douloureuse jusqu’à l’obsession.

Un roman dur, qui décortique les sentiments sans concession et met ainsi les âmes à nu.

Après La mère horizontale, son dernier roman sélectionné pour différents prix (Lilas, Leclerc, SGDL), Carole Zalberg poursuit son étonnante remontée narrative dans une histoire familiale où les femmes sont incapables d’aimer.

Liliane Mosca

Dans L'Appel, à propos de La Mère Horizontale

Dans L’Appel (Belgique) le 1er février 2009

Etre Mère

« Elles ne m’ont pas emportée dans leur tombe. Ni ma mère, ni la mère de ma mère. Je suis vivante, je me tiens debout et j’avance droit… Dans mon ventre une vie bat. la naissance de cet enfant, ce sera un pied de nez aux mortes de ma famille. A cette lignée de femmes folles et malheureuses dont je suis issue. »

Celle qui écrit cela aurait eu toutes les raisons d’avoir une vie massacrée, d’avoir de la haine pour celles qui ne l’ont pas aidée à vivre. Mais de ce livre se dégage malgré tout une immense tendresse pour ces femmes qui n’ont pas su être mères. A travers une écriture sobre et expressive, ce roman met en face de l’essentiel et fait découvrir une personne blessée qui parvient à dire maman à une mère pratiquement absente. Un très beau roman. (P. F.)

Nathalie Kuperman à propos d'Et qu'on m'emporte

Cette histoire absolument terrible m’a fait frissonner du début à la fin, peut-être parce qu’elle touche en nous des points si cruciaux, la peur, toujours, de ne pas assez aimer, la peur de perdre l’autre avant d’avoir dit ce qu’on avait à dire, car les mots d’amour mille fois répétés soulignent leur propre insuffisance. Bref, j’ai été très sensible à ce texte, et traiter du mal d’amour avec cette force relève de la virtuosité.
Finalement, dans ton roman, c’est la pierre qui est le coeur qui bat, ce caillou rose, tendre comme le souvenir, et dur comme l’amour incommunicable.
Bravo, et maintenant, j’attends d’avoir la version de Fleur, celle qui, sans doute, me touchera le plus.

Nathalie Kuperman, dernier ouvrage paru : Petit déjeuner avec Mick Jagger, l’Olivier

Eric Slabiak à propos d'Et qu'on m'emporte

Je termine à l’instant Et qu’on m’emporte.

Je suis chamboulé, c’est un chant bouleversant de douleur et de raison. Je ne sors pas indemne de cette lecture, encore moins qu’avec La  mère horizontale.

J’ai l’impression d’une réhabilitation de l’humanité défectueuse. Une  bienveillance intelligente à l’égard de l’animalité qui est en nous.  Tu dévisses l’appareil à conformités, tu l’envoies en travers de la  gorge et du coeur des bien-pensants, des vertueux que nous tentons  souvent de paraître pour nous contenter ou nous rassurer, pour nous
apaiser peut-être dans les rendez-vous avec nous même. J’ai beaucoup d’admiration pour ta grande sagesse et ton courage à  mettre, il me semble, tout ce qui est humain dans une même ronde  fatale, souvent insensée.
Un des préceptes du judaïsme est d’entretenir la mémoire. Si j’étais  religieux, ou philosophe, je serais tenté de dire que tu accomplis à  travers tes livres une grande « Mitzvah » une « Bonne Action » mais j’ai  l’impression que ta quête est plus spirituelle encore que  l’obéissance à des préceptes religieux ou philosophiques.

Eric Slabiak, musicien, fondateur avec son frère Olivier, du groupe Les Yeux Noirs

Anne-Laure Bovéron à propos d'Et qu'on m'emporte

A lire sur l’excellent site www.culturecie.com

L’article d’Anne-Laure Bovéron sur Et qu’on m’emporte :

A la une

Dans cet audacieux deuxième volet de sa trilogie des « Tombeaux » intitulé « Et qu’on m’emporte », Carole Zalberg donne la parole à une mère qui ne l’a jamais vraiment été. Elle explore sous un nouvel angle la maternité, les liens mère – fille, les héritages générationnels. Un roman singulier, emporté et touchant, aux allures de tragédie grecque. Et en lice pour le Prix des Lilas 2009…

L’esquisse…

La crainte de ne pas être une bonne mère est une réelle angoisse pour bien des femmes. Pour Emma, la question ne s’est jamais posée. Elle en a parfaitement conscience : elle est et a été une mauvaise mère. Surtout pour sa première fille, Sabine, l’enfant disparue, échouée. Elle ne le renie pas. Pas plus qu’elle ne demande réellement pardon ou s’en excuse. Au seuil de sa propre mort, elle s’en explique dans un monologue offert à sa défunte fille. Des constats qu’elle dresse, Emma comprend en partie les raisons de son indifférence face à ses enfants, face à son aînée.
Avant d’être mère, elle est femme. Elle a toujours voulu être libre d’abuser de tous les plaisirs que sa condition, son époque et son corps lui offraient, quitte à façonner son avenir sans la contrainte des enfants à veiller, à élever, à aimer. Elle n’a pas eu envie de se sacrifier pour eux. Elle avait une vie à mener.

Si elle assume tous ses choix, son absence de sentiments pour certains de ses enfants (ceux de son premier mariage) et le déséquilibre de l’amour existant pour son cadet, elle imagine malgré tout, par instants, sur son lit de gisante, comment les choses auraient pu se dérouler si tout avait été différent. Quelle aurait été sa vie, si elle s’était soumise aux règles tacites du quotidien rangé d’une femme au foyer, par exemple ?
En de longs monologues, dans lesquels elle ne mâche pas ses mots, ne déguise pas ses sentiments passés et présents, Emma fait revivre sa silencieuse fille. La sauve autant qu’elle la perd. Elle ne pourra jamais la rattraper. Elle aura été cette mauvaise mère là, ainsi soit-il.

La critique [déroutée] d’A-Laure Bovéron…

La force de ce roman, c’est le trouble qu’il jette. Que penser de cette femme ? Est-elle coupable d’avoir délaissé ses enfants, et notamment sa première née qui a sombré dans l’alcool et la drogue ? Ou est-elle simplement humaine, et donc victime – si l’on peut dire – de sa condition ? Est-elle condamnable de n’avoir aimé son enfant ? Blâmable d’avoir voulu vivre pleinement et sans lest ? Peut-on l’excuser au nom de sa détermination à vivre, à se sentir vivante ? Elle fuyait l’amour de peur d’en mourir, puisqu’elle ne voulait qu’une chose : vivre. En est-elle incriminable ? Ou est-elle victime de son désir de liberté, de vie, de plaisirs, d’indépendance ? Pas facile de trancher…
Emma se révèle attendrissante. Cette femme que la morale désigne comme indigne, ne cherche pas l’absolution. Ne la reçoit pas non plus. Et cela contribue à la beauté et à l’intensité du roman. Elle se raccroche à des petits riens, à un caillou rose, pour tenter de rendre justice à qui de droit. Pourtant, il y a quelque chose « du combat perdu d’avance » dans cette histoire. Et ce, dès les premiers mots, puisque la seule personne qui aurait pu absoudre Emma de ses fautes est décédée depuis des années. Sabine n’est plus là pour donner la réplique à sa mère qui dirige l’accusation et la défense, dans un procès dont elle est l’unique instigatrice. Mais cette lutte avec le fantôme de l’enfant sacrifiée était de toute évidence à mener. Emma relève ici une autre facette de son courage. Elle se bat contre des moulins à vent, en sachant qu’elle y laissera des plumes, sans rien récolter. Pas même sa tranquillité d’âme. Plus rien n’est rattrapable.

Autres qualités de ce roman, son humanisme et son courage. Courage de Carole Zalberg, d’avoir créé un tel personnage, allant plus loin encore dans l’exploration du tabou que ne l’avait fait,par exemple, Eliette Abécassis avec « Un Heureux événement ». Courage d’Emma aussi, de vivre envers et contre tout, contre son enfant, sa vie de femme, de l’endosser jusqu’au bout. La protagoniste a du cran et l’audace de ne pas rentrer dans les cases, de rester fidèle à ses envies, d’avoir toujours été sa priorité. C’est contestable. C’est admirable. Emma est un personnage fort, parce qu’à contre-courant de la banale héroïne sans reproches, et parce qu’elle le revendique. Cette mère par défaut reconnaît certes ses erreurs mais a surtout l’honnêteté de ne pas prétendre, au seuil de sa disparition, avoir fait de son mieux. Elle assume, sans tenter de se dédouaner.
Il est évidemment question des liens maternels. Certaines mères, pour parer à la terreur d’être un jour, par malheur, orpheline de leurs enfants, resserrent le joug. Les couvent à outrance. D’autres lâchent les rennes. Se désintéressent d’eux pour n’être affectées de rien. Tout est question de camp à choisir. De sensibilité aussi. Et de choix à soutenir. Emma ne fait pas dans la demi-mesure. Elle incarne l’instinct maternel de son apogée à sa disparition.
Les thèmes des héritages familiaux et plus encore, de la transmission entre femmes, jonchent aussi cet ouvrage, puisque dans « Et qu’on m’emporte », Emma dissèque trois générations : sa mère, elle-même, sa fille Sabine et évoque une quatrième lignée, sa petite fille Fleur (l’héroïne du précédent roman de Carole Zalberg « La mère horizontale »).

Quant à l’écriture, que dire ? Aiguisée, franche, parfois poignante, cruelle, parfois bouleversante, lyrique, exempte de fioritures. En deux mots, belle et efficace.

Bon à savoir…

« Et qu’on m’emporte » est le second volet de la Trilogie des « Tombeaux » débutée avec «  La Mère horizontale » (2007, aux éditions Albin Michel). Mais il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier tome pour aimer et comprendre le dernier paru. Et en même temps pourquoi se priver de «  La Mère horizontale » (l’histoire de Sabine contée par sa fille, Fleur) qui est également un bon roman ?! (lien Amazon)

DOSSIER CAROLE ZALBERG SUR CULTURECIE…

Carole Zalberg, le coup de coeur d’Amélie Nothomb

Le coup de coeur de Carole Zalberg : « Un Dieu un animal » de Jérôme Ferrari [dossier de l’été 2009, « les écrivains livrent CultureCie »]