Soirée Lancelote, les discours

Massa, le 10 juin 2016,

Chère Lancelote,

Tu as lancé le mot, je l’adopte volontiers car oui, décidément, chevalière, ça fait un peu trop grosse bagouze à armoiries au doigt, pas vraiment notre genre, même si, soit dit en passant, nous aimons toutes les deux beaucoup les bagues.  Quel honneur tu me fais de me demander de t’introniser aujourd’hui dans l’ordre des Arts et des Lettres, d’officialiser en quelque sorte ton investissement sans faille (mettre un peu d’ordre, c’est toujours important) dans ce champ que tu arpentes et où tu rayonnes depuis des années par tes livres et ton engagement à la Société des Gens de Lettres. C’est par ce petit bout là que je t’ai connue et appréciée, ô combien, lorsque je suis moi-même entrée par la porte du fond pour m’asseoir à un bureau qui me semblait un peu trop grand pour moi et que tu as beaucoup contribué à ramener à la juste taille. Le reste est ensuite venu comme de source. Je t’ai lue, avec intérêt, émotion, admiration, et j’ai été soulagée d’être touchée par tes livres après l’avoir été par toi. Ce n’est jamais gagné après tout cette histoire-là. On peut être une magnifique personne et écrire avec des sabots…

Sabots… mais j’y pense… à Lancelote, il faut bien sûr une monture. Une jument blanche immaculée à selle, harnachement et pompons verts, ou à la robe isabelle ou mieux, buckskin, parce que c’est doré, rare et raffiné, à ton image, ou pourquoi pas une licorne, comme celle de la dame de Cluny, en son champ fleuri peuplé de lapins blancs et de petits oiseaux, ou bien carrément un TGV enluminé filant à vive allure ou un avion long-courrier pour aller encore plus loin et plus vite, un bateau contre les vapeurs, un pédalo pour le fun, une patinette pour plus de légèreté. Qu’importe, tous les moyens te sont bons pour te propulser, tu t’accommodes de tout dans ta magnifique énergie, tu peux alterner, varier les tempos, comme tu sais si bien le faire dans ta façon de te vêtir en grande coquette que tu es, tantôt longue dame fleurie, tantôt garçonne, gavroche ou rockeuse. Brouiller les codes, lamé et short, tatanes et dos nu, glisser d’un univers à l’autre, tantôt ici tantôt là, avec grâce, fluidité et aplomb, oui, ça tu sais faire.

Hommage donc à Lancelote, la femme-femme, c’est-à-dire au four et au moulin, plurielle, 99 en une, une vraie affaire, sur tous les fronts, avec obligation d’excellence, de réussite dans tous les domaines, c’est à ce prix, tu le sais bien, qu’on est femme visible en ce monde. Je salue l’amoureuse, la voluptueuse, la mère-maman – un cœur gros comme ça, toujours un œil sur le frigo, c’est qu’ils ont de l’appétit mes quatre hommes ! –, accessoirement mère d’un girafon nommé Pepper dont une foule d’amis conquis suit les aventures quasi quotidiennes au fil de subjuguantes chroniques facebookiennes.

Hommage à l’écrivain – écrivaine – qui d’œuvre en œuvre défriche son champ sensible, creuse au plus profond de l’intime et de l’Histoire, la grande, et du verbe, généreux, houleux, comme une vague, ou rocailleux, tranchant, semé de mots machette, invente des langues, gratte les croûtes, desquame les vieilles peaux, dénoue les nœuds intimes.

Hommage à la lectrice, car tu lis tes pairs, oui, et les lis bien, les jeunes, les vieux, les nouveaux, les confirmés, toujours à l’affût de beaux textes, de sensations inédites, de rythmes syncopés, de sambas, de motets, de raps littéraires, ne ménageant ni ton temps, ni ta peine, ni tes enthousiasmes pour porter la belle parole (hommage au passage à tes insomnies qui te permettent d’avaler des bibliothèques entières pendant que d’autres dorment, ce qui ne t’empêche pas de commencer ta journée fraîche et rose, il n’y a décidément pas de justice en ce monde ). Quand tu aimes, Carole, tu ne comptes pas, tu partages tes chouchous en librairie, sur les ondes, les salons, les réseaux sociaux. Au siècle des Lumière, chère dame de lettres, tu aurais été une Ninon de Lenclos et tu aurais tenu salon.

Hommage à la femme engagée, ma secrétaire générale, en lien étroit avec les écrivains, ne cessant d’ouvrir portes et fenêtre pour faire entrer de la vie, de nouveaux talents, de belles personnes, ici, dans cette maison des auteurs. On te doit la refonte des formations, une résidence sensationnelle avec Patrick Goujon, dit le magnifique, de nouveaux types de soirées autour de revues ou 100% Gaitet à tout casser à l’occasion de la remise de nos prix révélation, des partenariats avec la Corrèze et la Bretagne. Ouvrir, faire lien, tout est bon pour donner de la visibilité et du sens, en grande complicité avec les gens de Massa. Tu sais combien je suis heureuse du duo que nous formons. Duo complice, joyeux et inoxydable ponctué de belles envolées et de salutaires fous rires.

Ah ton rire, chère Lancelote !  Hommage à ce divin grelot, hennissement en cascade de perles qui déferle dans les couloirs, dévale les escaliers, traverse les murs de Massa.

Et puis hommage aussi à la musique et à la danse lorsqu’ils te tiennent d’un bout de la nuit à l’autre, hommage aux bulles et aux cafés gourmands qui émaillent ton parcours de bonne vivante.

Hommage enfin à la femme mystérieuse, poreuse, qui ressent tout très fort, et à ta capacité intacte d’émerveillement.

Le temps est venu d’épingler délicatement cette médaille au revers de ta veste, merci d’en porter une pour m’éviter de te piquer le sein. Je n’ai pas l’habitude, c’est une grande première pour moi. Tu m’avais parlé d’une formule cabalistique, quelques mots codés repérés sur internet que j’aurais dû prononcer pour t’introniser comme il se doit, mais tu ne les as pas retrouvés. Je me contenterai donc de déclarer, au nom du Président de la République, que tu l’as bien méritée.

Marie Sellier

Marie Sellier et Carole Zalberg

La première fois de ma vie que j’ai reçu une distinction, un prix en l’occurrence, c’était déjà ici, à la Sgdl, en 2008, pour un roman jeunesse. J’étais terrifiée à l’idée de prendre la parole en public et je me souviens d’avoir attendu mon tour, tardif, le cœur dans la gorge. Le moment venu, j’ai parlé à toute allure en fixant un point flou dans la salle, et j’avais les jambes tellement molles et tremblantes que j’ai eu du mal à retourner m’asseoir.

C’était une première fois et toutes les premières fois sont utiles, même quand on ne s’en est pas très bien tiré.

 Aujourd’hui, je ne dirai pas que je suis à l’aise (la preuve, j’ai besoin de ce papier) mais j’ai appris à profiter de ces moments où tous les pôles de mon existence se rejoignent.

Je m’explique : la plupart du temps, il y a ma vie de famille d’un côté et ma vie professionnelle de l’autre avec des ponts entre les deux, bien sûr, des amis liés à l’une et à l’autre, l’attention des miens sur ce que j’écris, sur mon implication ici, aussi. Mais malgré tout, je suis toujours un peu morcelée.

Aujourd’hui, autour de moi, comme il y a huit ans lors de la remise des prix, et à quelques trop rares occasions,  il y a ma merveilleuse tribu de beaux garçons, des membres de ma famille réelle ou choisie, des amis de tous horizons et de plus ou moins longue date, de l’enfance à la maturité, un grand nombre des personnes formidables avec qui je travaille comme écrivain ou comme secrétaire générale. Aujourd’hui, tous mes mondes sont réunis et cela suffit à ce que le bonheur l’emporte très largement sur la nervosité.

Il y a notamment Henia, ma mère peintre, à qui je dois sans doute ma façon d’appréhender l’écriture comme un geste, une confrontation sensuelle à la matière, ma mère ancienne enfant cachée que la France – la langue française surtout – a accueillie et réparée.

Il y a Paul, mon mensch de père, dont la générosité et la douceur sont une constante inspiration et qui m’a donné très tôt le goût des littératures, étrangères surtout et plutôt contemporaines.

Je ne citerai qu’eux, car il me faudrait, sinon, citer un à un chacun d’entre vous qui, d’une manière ou d’une autre, m’êtes tous chers.

Je suis en tout cas heureuse et émue d’être faite chevalière en votre présence, dans cet ordre des arts et des lettres inspirant, salutaire même, par les temps qui courent, puisqu’il soutient la création, puisqu’il affirme l’importance de l’art pour rêver, construire et préserver une société qu’on voudrait harmonieuse, libre et juste.

Si cette médaille récompense un engagement, je m’engage à mon tour à en demeurer digne et ne jamais négliger les causes collectives, à ne pas oublier qu’on n’est rien sans l’autre et que le chemin est toujours plus beau quand il est partagé.

Si elle salue une œuvre, je promets d’aller toujours chercher les mots au plus profond, dans ce fonds d’émotions, de souvenirs, de murmures et de cris, les siens et ceux qui se sont pris aux filets sensibles de l’écrivain,  dans ce fonds où nait la vérité du roman.

Merci très sincèrement à tous d’être là.

Carole Zalberg

 

Hénia, ma mère peintre, et Paul, mon mensch de père.

Hénia, ma mère peintre, et Paul, mon mensch de père.

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Ma merveilleuse tribu de beaux garçons