Histoires de « mauvaises mères »
par Anne Delestre | Info du sud |
Incantation lucide d’une femme à l’agonie qui s’adresse au fantôme de sa fille qu’elle n’a pas su aimer, « Et qu’on m’emporte » est le second volet de « La trilogie des tombeaux ». Un roman sombre et obsédant.
Il y a la mort qui rode et une femme couchée sur son lit d’agonie qui parle à un fantôme. Second volet d’une trilogie dédiée au désamour maternel (« La Trilogie des Tombeaux »), « Et qu’on m’emporte » remonte dans le temps et donne la parole à Emma, la grand-mère de Fleur. Fleur, c’était l’héroïne impuissante de « La mère horizontale », premier pan de la trilogie. Elle y évoquait sa mère, Sabine, celle dont elle ne gardait que des « souvenirs horizontaux » : « Je n’ai de ma mère que des souvenirs horizontaux. Je ne vois guère ma mère autrement que couchée, étendue, jetée à terre. Je ne me la rappelle qu’échouée. »
C’est à Sabine qu’Emma s’adresse avant de mourir. Sabine, sa fille morte avant elle, celle qu’elle a délibérément exilée de son cœur. Une incantation lucide et sans pathos qui s’élève du roman de Carole Zalberg comme une mélopée obsédante.
« Je me tairai bientôt, moi aussi, avec mes secrets de soleil et de tumeur mêlés, mais ça n’échangera pas ma vie contre la tienne. Je te parle, je te parle ». Emma ne cherche pas à justifier son refus d’amour mais à l’expliquer. Alors elle « fouille » le passé, « brasse » les éléments de sa vie qui l’ont amenée à choisir un homme « contre ses premiers enfants ». Thibault, Caroline et Sabine. Ceux qu’elle a eus avec Max, qu’elle a « laissés en plan sans y réfléchir à deux fois » parce qu’ils n’étaient que du « lest à lâcher pour aller plus haut ». Pas la fibre maternelle Emma ? « Je n’ai pas eu le temps d’aimer vraiment mes premiers-nés. Ils m’ont tout de suite encombrée. C’est terrible à dire mais je les ai faits comme une poule des œufs. Pas concernée plus que ça. N’attendant que le moment où ils iraient voler ailleurs ». Et au final, elle est partie avant eux, les abandonnant à leur père au profit de Rolland, le nouveau venu dans sa vie.
Il faut dire que la grande Histoire a aussi sa part de responsabilité. Emma a 31 ans en 1968. Sa soif de plaisir ne supporte aucune entrave. Surtout pas celle d’un enfant. Alors elle préfère les repousser. Tous. Sabine. Thibault, le « pisseux, merdeux ou morveux ». Caroline, « cette pauvre grosse fille ». Tous sauf Tom, le dernier né, issu de sa relation avec Rolland. « J’en ai fait mon œuvre et ma mission, de cet enfant. Un monument dédié à cette Terre promise où je tournais maintenant en rond, le monde de Rolland, mon monde à présent ».
Seule chose qu’elle ne pouvait prévoir c’est qu’à l’heure de sa mort, le souvenir de sa première fille, Sabine, allait lui revenir en pleine face, dans sa « chair » et dans ses « moindres pensées »…
Le roman de Carole Zalberg a cette puissance qu’ont les chants sombres et tristes qui touchent au cœur de l’humain. Il rappelle avec subtilité que l’amour maternel, derrière l’hypocrisie sociale, n’est pas une donnée absolue. Pas plus que l’instinct maternel. Le monologue d’Emma en fournit la preuve avec une justesse de ton qui démontre le talent de son auteur.
Carole Zalberg dit souffrir d’un « complexe d’usurpation » quand elle décline son statut d’écrivain. « Et qu’on m’emporte » est la preuve magistrale du contraire.
Publié sur Info du sud, le « cyberjournal du Languedoc-Roussillon, le 30 août 2009.