Chez eux – Frédéric Vignale – Le Mague

Chez eux, roman, mars 2004, éditions Phébus

Chez eux, roman, mars 2004, éditions Phébus

Chez Elle

Carole Zalberg écrit bien, trop bien peut-être, mais peut-on réellement l’en blâmer tant la beauté du verbe et l’élégance stylistique semblent être les derniers remparts littéraires et artistiques contre l’Horreur avec un grand H, comme Holocauste. La deuxième Guerre mondiale n’a pas fait que des victimes anonymes et pour illustrer ce fait inéluctable et cruel, l’auteur nous convie à une remontée dans le temps à travers les yeux d’un enfant qui ne comprend pas tout, qui n’a pas toutes les clefs du monde des adultes ; visions subjectives, synchroniques et diachroniques d’une époque salie par des rivières pourpres, et qui n’en finit pas de nous questionner.

A la lecture de ces souvenirs reconstitués, réinventés et insufflés par l’énergie du Bien et le devoir de Mémoire, dans cette cosmogonie précise, documentée et vraisemblable émaillée de drames intimes, « Chez eux » est un ouvrage à part sur la ligne Maginot de notre imaginaire collectif. Un thème en noir qu’il est bon de réamorcer en permanence par l’Ecriture fictionnelle ou le documentaire, ou par le choix unique de s’attaquer en toute sincérité à ses propres Démons et à ceux de son humanité sombre ou rose. Un homme qui ne tirerait pas les enseignement de son passé pourrait reproduire les mêmes erreurs et changer à tout jamais le cours des destins en mal, en sordide, en mort tout azimut.

Une jolie femme blonde et lettrée prend la plume, mène l’enquête, s’immisce dans sa propre genèse d’avant fœtus, celle qu’elle n’a pas pu connaître mais que seul l’écrivain peut ressentir mieux que personne sans rien trahir, ni galvauder. Aller au bout d’un désir incompressible. Plonger dans la propre histoire réelle de sa mère et lui servir d’interprète superbe, de traductrice créatrice talentueuse et accoucher d’un livre magnifique, d’un beau bébé joufflu qui aime, a peur, ment et se cache pour sauver sa propre vie. Témoigner de l’irracontable avec candeur et naïveté, avec la justesse d’un regard pur.

En parcourant « Chez eux » on se demande de ligne en ligne, de front, si l’Histoire est un roman ou le travail romanesque un exercice intellectuel digne et précieux. Une réflexion douce et âpre à la fois, motivée et documentée sur une histoire personnelle qui devient universelle et qui nous touche dans son particulier et son général. Dans son injustice et ses champs lexicaux à perte de vue.

Entre Fiction, autofiction et roman pluriel très féminin sans être féministe, Carole Zalberg se cherche un passé, renoue avec l’émotion d’un traumatisme familial qui la rattrape et la hante, qui l’intéresse et la nourrit d’une fièvre créatrice simple et pertinente.

Un roman qui remet un peu la focale sur l’itinéraire particulier et parfois un peu oublié et mésestimé des juifs polonais, ces juifs pauvres qui nous semble-t’il n’ont pas eu le même traitement historique que d’autres victimes, et c’est bien regrettable.

En historienne des sensations et des émotions vraies, nues et crues, Carole Zalberg attendrit et excelle.

Chez eux, Carole Zalberg, Editions Phébus, 120 pages, 12 euros

source : http://www.lemague.net/dyn/article.php3?id_article=594

Chez Eux – Alexandre Charlyn – Le Mague

Chez eux, roman, mars 2004, éditions Phébus

Chez eux, roman, mars 2004, éditions Phébus

Anna, Zalberg et les autres…

par Alexandre Charlyn

Tout avait été dit, écrit sur cette page noire de l’Histoire. Du « Journal d’Anne Franck » à « La Nuit » d’Elie Wiesel en passant par nos bons vieux « Sac de bille » et autres « J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir » ou, plus récemment, un « Anus du monde » de Daniel Zimmermann, pour ne citer que ceux-là ; autant de cris de tous âges et de tous tons en témoignage de l’un des plus ignobles traumatismes que l’Homme a jamais engendré et connu.

A l’heure où l’on débat et polémique sur la liberté d’expression, du droit ou non de pouvoir rire du pire, de dénonciation, provocation et subversion, écoutez… loin du bruit et des coups de gueule, cette voix douce se lever sans tambours ni trompettes comme un sanglot d’enfant.

Combien faudra-t-il de sang neuf ? Combien de générations devront-elles naître et naître encore par-dessus celui qui coula par tonnes de litres mêlés aux larmes de l’horreur, pour apaiser ce que folie et absurde ont signé il y a soixante ans, à l’encre funeste du dirigeant d’un pays ?

Sont des drames dont on ne se relève pas. Dont on ne veut pas, dont on ne peut pas se relever. Des histoires dans l’Histoire qui ont ouvert des blessures indélébiles, plaies à jamais béantes aux branches de millions d’arbres généalogiques et aux cœurs à la foi brisée par milliers. Malgré le travail du temps, les reconstructions, les nouveaux enfants sous de nouveaux soleils, ni réparation ni oubli ne seront plus possibles. La repousse, sur ces ruines-là, n’en fera nuls Atlantides. Voici une zone sinistrée pour toujours.

Aussi évident, éclatant que le nez au centre de la gueule ou la lune au milieu des étoiles, l’appel de mémoire reste sous-jacent autant qu’impérieux. Et c’est une petite Anna qui nous entraîne en France, cette terre lointaine aux mots étrangers où elle est laissée à la garde d’inconnus qui, de toutes les façons, ne lui parlent jamais. La fillette, qui n’a jusqu’ici connu que la tendresse de sa mère et jamais manqué de rien d’autre, voit le monde et ce qu’il lui fait soudain avec les yeux de l’enfance et tout ce qu’ils peuvent rendre de brut à travers leur candeur. Car, ce qu’elle ne comprend pas, Anna le ressent.

Au fil des mois pendant lesquels elle apprendra la langue, elle apprendra aussi à devenir quelqu’un d’autre, à régler son devoir aux travaux durs de la ferme, à s’instruire, surtout à survivre, sans relâche, physiquement aussi bien que mentalement, mais encore, elle apprendra, ici l’amitié et, là, à se cacher pour pleurer.

Anna se pressent face à l’incompréhensible et se forge ainsi, entre les griffes toujours en alerte d’une fatalité qui la dépasse et qui les dépasse tous.

Carole Zalberg ne donne pas dans la prose choc ou les sensations fortes. Elle semble plutôt ronronner sur des mots qui nous portent sans en avoir l’air sur un fond de grelots. Et quand, à notre grand étonnement, la dernière page est tournée, cela fait déjà longtemps qu’on n’a plus les yeux secs.

La tragédie, à travers l’écho d’une chanson d’écolière ou dans la lumière d’une cavalcade en forêt, prend des reliefs profonds où les reflets sortent crus. Sous cette écriture aux abords non tranchants, qui coule facilement d’une ligne à l’autre sans jamais changer de mine ni casser son souffle, les passionnés d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale comme ceux qui n’ont fait que la frôler trouveront là, étroitement mêlée à l’intime d’un superbe et juste travail de reconstitution, une émotion tout droit sortie du générationnel d’aujourd’hui. Fort, l’auteur a tenu le pari de mener sur les chemins de l’horrible un récit qui peut être lu par tous, les enfants comme leurs grands-parents, ceux qui ont connus ces jours sombres et bien sûr, nous autres au milieu, qui préparons en ce moment ce qui arrivera demain. Un livre pour se souvenir encore, du pur Zalberg.

Chez eux, roman, Carole Zalberg Foebus.(2004)

source : http://www.lemague.net/dyn/article.php3?id_article=606